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DANS L'ACTUALITÉ
Daech : la propagande entre supports traditionnels et numériques
Table des matières
Texte intégral
1L’opinion publique mondiale est toujours sous le choc des attentats terroristes qui ont survenu dernièrement dans plusieurs pays comme la France et la Tunisie. Selon Harbulot (2015), le monde est confronté à l’efficacité de l’utilisation du cyberespace par les salafistes de Daech qui représentent une nouvelle forme de menace de guerre de l’information.
2Cet article examine les processus de communication dirigés vers l’extérieur par ces organisations terroristes, sous la forme de propagande, visant à diffuser des images et des idées d’horreur et de manipuler les perceptions et les attitudes et d’influencer le comportement des personnes. En outre, la campagne de propagande vise à s’étendre à la fois dans l’espace et dans le temps : elle vise à toucher un public mondial. Dans ce but, les messages ont été diffusés et traduits dans des langues différentes. Par ailleurs, cette campagne est continue et incessante dans la mesure où les messages sont constamment mis à jour, offrant une représentation de la réalité et des actes en temps réel ou presque.
3Cette organisation appelée Daech a dépensé et dépense encore beaucoup d’énergie dans une activité de propagande de portée mondiale. Cette campagne médiatique a plusieurs objectifs : légitimer leur autorité dans les zones de leur présence, recruter des militants et des sympathisants, motiver les supporters ; intimider et influencer des ennemis. En effet, Daech n’est pas le premier groupe radical dans le monde, qui utilise massivement divers moyens de communication qu’ils soient traditionnels ou modernes, y compris les médias sociaux, mais ce qui a surpris le monde c’est le niveau de sophistication et de professionnalisme pour la médiatisation de leurs actes. Ainsi, l’organisation utilise avec de grandes compétences les différentes plates-formes de communication. La campagne de propagande a commencé, d’une part, par la participation personnelle du leader, Abou Bakr Al Baghdadi, à des initiatives de communication à travers des vidéos et des évènements, d’autre part par la diffusion de messages par de nombreux partisans et sympathisants à travers différents canaux de communication et, en particulier, les médias sociaux, tels que Twitter, Facebook, Instagram.
4Cette propagande s’est basée sur deux éléments. Le premier a débuté par des vidéos représentant des actes odieux de violence, tels que les décapitations d’otages innocents et les attentats dans différentes zones géographiques, et le second a pris en charge la diffusion des messages vantant les activités sociales pour les communautés et les membres de l’organisation présumées, montrant les combattants de l’organisation en train de manger ensemble et de chanter, d’accéder à de postes de travail en contrepartie d’un salaire, de bénéficier de services de santé etc.
5Certes, les groupes extrémistes et terroristes de tous horizons idéologiques ont longtemps utilisé l’Internet pour réaliser un large éventail de buts : la communication, la propagande, le partage de l’information technique et la collecte de renseignements, le recrutement, la formation, le financement et l’acquisition d’équipements. Cependant, au cours des dernières années l’utilisation d’Internet par les extrémistes a évolué rapidement en raison de l’apparition de nouvelles possibilités technologiques, la prolifération des plates-formes de médias sociaux, les développements en matière de police en ligne et un certain nombre d’autres facteurs (Bartlett et Reynolds, 2015). Cette étude a pour objectif d’examiner les principaux moyens de propagande de Daech par la combinaison des médias traditionnels et des nouveaux médias.
Médias traditionnels support de la propagande
6La propagande de Daech avait commencé à partir de son identité, qui se compose essentiellement d’un nom et d’un logo. En effet, en quelques années, l’organisation a changé plusieurs fois de nom : l’État islamique en Irak (EII) en 2006 puis il devient l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou État islamique en Irak et al-Sham (EIIS), parfois désigné par l’acronyme anglais ISIS ou par l’acronyme arabe Daech en Juin 2014, pour coïncider avec la proclamation unilatérale du Califat. En plus du nom, la plupart des organisations terroristes et des groupes de rebelles ont également eu un logo spécial, plus ou moins simple. Le logo le plus important du soi-disant « Etat islamique » est la bannière de la guerre sur un noir qui reprend en caractères archaïques blancs le témoignage de la foi. Dans tous ces cas, il est clair qu’il y a une volonté de faire étalage d’une propagande qui rappelle la pureté originelle de religion, mais dans un esprit fondamentaliste.
7Daech a eu recours à d’autres moyens de communication à des fins de propagande. Par exemple, il a publié une « brochure» qui encourage l’immigration dans les territoires sous son contrôle. En outre, il a produit des publications en anglais qui illustrent les succès militaires présumés et vante l’organisation politique à travers de nombreuses photographies, souvent violentes. L’organisation a également créé un livre en six volumes publié en anglais, de bonne qualité avec des références, et des titres spécifiques pour chaque zone géographique donnée.
8Un autre outil de propagande digne de mention est la musique et, en particulier, des hymnes et des thèmes religieux accompagnés par des instruments de percussion. Ce genre de musique traditionnelle, populaire dans de nombreuses sociétés à majorité musulmane, est utilisé à des fins diverses, l’un de ces hymnes est devenu presque l’hymne officiel de l’organisation.
9Avant l’apparition de Daech, des groupes djihadistes actifs en Irak avaient déjà publié des magazines, également en anglais, généralement ancrés dans une représentation traditionnelle. Dans ce contexte, en juillet 2010, une nouvelle revue en langue anglaise a été publiée en ligne par al-Qaida dans la péninsule arabique, riche en photographies, conçue pour un public mondial, jeune pour la plupart, déjà intéressé par les questions du « djihadisme ». Le magazine, en particulier, incite à la violence contre les « infidèles » et l’Occident, et fournit également des instructions pour mener à bien chaque attaque terroriste indépendamment. Jusqu’à présent, plusieurs numéros de la revue ont été publiés. Impressionné par le succès des magazines, Daech a décidé de produire un autre magazine le 5 Juillet 2014, nommé« Dabiq ». Il s’agit d’un magazine sur papier glacé, emballés et formatées avec une grande habileté. Il est publié en plusieurs langues. Il ressemble à un magazine périodique axé sur les questions du monothéisme, de la recherche de la vérité, la migration vers ce nouveau pays, et la guerre sainte. Jusqu’à présent, huit numéros du magazine ont été publiés.
10En Janvier 2015, il a propagé l’annonce du lancement d’une chaîne de télévision dédiée à Daech appelée « KhilafaLive » et inspiré par les chaînes d’information, qui transmettent sur l’Internet à un public international. Aussi, en mars 2015, selon des informations non vérifiées qu’il a diffusé, Daech tenterait de lancer sa propre plate-forme de médias sociaux, mais sans succès.
Nouveaux médias supports de la propagande
11Depuis son apparition, Daech utilise habilement divers médias sociaux à des fins de propagande. Dans ce contexte, selon Hecker (2015) Twitter est le principal média social utilisé par Daech pour diffuser ses messages extrémistes « à la fin de 2014 plus de 46000 comptes Twitter serait utilisés par des membres ou des sympathisants de l’EI. Ses comptes ont en moyenne 1000 followers alors que la moyenne générale de followers sur Twitter se situe aux alentours de 200 ».
12À partir du milieu de l’année 2014, Twitter a commencé à suspendre plusieurs comptes qui sont généralement les plus actifs et influents sous la pression des gouvernements, ce qui a considérablement réduit la portée des activités liées à Daech sur le réseau social. Néanmoins, la question de la suspension des comptes de médias sociaux est complexe et délicate du fait que, pour plusieurs parties prenantes qui ont des intérêts légitimes et non concordants comme la société Twitter, les agences de renseignement, la police, les journalistes, les partisans de la liberté d’expression, etc. n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la méthode et l’intérêt de la suspension d’un compte. Ce désaccord sur la possibilité de résilier les comptes personnels soulève au moins trois questions : la menace de la liberté de pensée, le risque de suppression des informations utiles, en particulier pour les agences de renseignement et le risque de produire l’effet inverse, dans la mesure où cette résiliation risque de provoquer un repli de ces réseaux sociaux sur eux-mêmes, ce qui augmente encore le niveau de sectarisme et d’extrémisme.
13De plus, selon (Weimann, 2014) Facebook est le plus grand réseau social en ligne avec plus de 1,31 milliard d’utilisateurs dans le monde avec une moyenne d’âge d’environ 30 ans. Au Moyen-Orient, Facebook a connu une augmentation significative d’adhésion et a atteint 67 % des personnes qui ont accès à Internet en 2010. C’est pourquoi les terroristes qui ont pris en considération ces tendances ont placé leur présence sur Facebook sous le thème de « Facebook Invasion ».
14Les médias sociaux ne sont pas le seul front de support sur lequel Daech construit sa propagande. En effet, le support le plus influent dans le monde occidental est la diffusion des vidéos et films élaborés par l’agence de presse « Al Hayat Media Center » (Barrett, 2014).
15Les vidéos produites et diffusées par Daech montrent bien que cette organisation mène une « guerre psychologique» contre ces ennemis. Les vidéos les plus célèbres et les plus impressionnantes concernant les décapitations d’otages occidentaux comme le journaliste américain James W. Foley, le Britannique David Haines, le guide français Hervé Gourdel, le coopérant britannique Allan Henning, le coopérant américain Peter E. Kassig, etc. En plus de ces vidéos, on pourrait également mentionner les autres films importants liés à Daech, tels que ceux concernant la décapitation de 21 ouvriers coptes sur les côtes de la Libye, l’immolation horrible du pilote jordanien Muath al-Kasasbeh à l’intérieur d’une cage, et le meurtre de sang-froid de deux groupes d’Ethiopiens chrétiens en Libye. Par ailleurs, selon Flichy de la Neuville et Hanne,( 2014) Daech « compte également sur ses moyens propres, puisqu’il dispose depuis 2007 de son propre label de vidéo-production, Al-Furqan Media Production ».
16Il est évident que ces vidéos ne sont pas dûes à des gestes impulsifs, dictées seulement par des comportements violents, mais ils représentent le fruit d’une propagande méthodique. En outre, la prise d’otages et les pratiques d’exécutions sont récurrentes dans l’histoire du terrorisme, en raison de leur capacité à attirer l’attention et de faire une propagande.
17Les vidéos de décapitations ont certains éléments distinctifs, les otages sont agenouillés et portent une combinaison de même couleur, les meurtriers sont debout, masqués et vêtus de noir, pour montrer une grande organisation de leurs actes. Les décapitations ont lieu habituellement à l’extérieur, dans des zones désertiques, sans doute pour montrer que l’organisation est en mesure de contrôler le territoire et de ne pas avoir à cacher. La scène de la représentation est dominée des couleurs peu nombreuses et dispose d’un nombre limité d’éléments scéniques, afin de concentrer l’attention du « spectateur» sur la relation entre la victime et l’agresseur. Dans le cas des otages occidentaux, celui qui exécute la tuerie est souvent un individu à capuche qui parle un anglais parfait, dans l’intention d’intimider la population occidentale. Les otages ne sont pas accusés d’espionnage ou d’autres crimes allégués, mais, sont toujours cyniquement présentés comme des victimes de leurs propres gouvernements et de leurs décisions de politique étrangère.
18En effet, le premier objectif de cette campagne de vidéos est d’inciter les gouvernements étrangers à ne pas intervenir en Syrie et en Irak. Le récit est bien construit et fait souvent appel à des effets de suspense et d’autres outils narratifs. D’un point de vue technique, la qualité des produits est souvent très bonne. Certains utilisent des vidéos avec des compétences techniques typiques du cinéma occidental et, en particulier, du cinéma hollywoodien : des effets spéciaux, des effets sonores et des effets de ralenti (pour ralentir ou accélérer la vitesse de déplacement) avec des éléments stylistiques typiques des films d’horreur. Il est clair que le but de toutes ces mesures est de diffuser des vidéos choquantes qui vont créer une propagande médiatique. Mais cette pratique a provoqué des réactions négatives dans l’opinion publique mondiale et notamment dans le monde musulman car aucune religion ne tolère qu’un acte lâche, comme le massacre à sang-froid d’un otage sans défense soit construit et présenté comme un acte héroïque.
19Par ailleurs, Daech n’a pas hésité à recourir à des moyens de propagande, même ludiques, par exemple, en détournant le jeu vidéo « GTA V » l’un des plus vendu et populaire dans le monde, pour expliquer comment organiser des actes terroristes. La vidéo de qualité considérable, montre des agressions, des fusillades et des explosions dans des zones principalement désertiques, avec une scène de violence de la série originale. L’intention, bien sûr, est de promouvoir la violence à travers un jeu essentiellement destiné aux jeunes ou très jeunes publics.
20Pour conclure, Daech a réussi à orchestrer une campagne de propagande sophistiquée de portée mondiale qui utilise différents canaux de communication. Cette activité de propagande est un élément fondamental du conflit en cours qui se déroule dans les médias. Le signal envoyé par Daech a la possibilité de réaliser une grande résonance dans la « société de l’information d’aujourd’hui ». Depuis plusieurs années, un grand nombre des initiatives du groupe armé sont prises et amplifiées par les médias traditionnels ainsi que les nouveaux médias. Il est une autre preuve de l’étroite relation qui peut exister entre le terrorisme et les médias, une relation presque de caractère symbiotique : d’une part, les groupes terroristes ont généralement besoin des médias pour diffuser leurs actes et d’autres part, les médias sont attirés par les faits de terrorisme, en particulier, ceux de nature spectaculaire, en raison de leur capacité à attirer l’attention du public. C’est pourquoi, les journalistes et les différents canaux de communication devront bien réfléchir sur la façon de traiter les informations liées au terrorisme. En conclusion, on peut noter que Daech a pu réussir certaines étapes de la « guerre de l’information» qui l’oppose à ses nombreux ennemis, grâce à des opérations de communication audacieuses et extrêmes. Il semble donc que les gouvernements, les citoyens et les différents médias devront intensifier leurs efforts pour contrer la propagande de cette organisation, par la production et la mise en place d’un contre-discours positif
Bibliographie
Thomas Flichy de la Neuville et Olivier Hanne, 2014, « Etat Islamique, un Cyber-terrorisme médiatique ? », Article n° III.15, Chaire de Cyberdéfense et Cybersécurité.
Jamie Bartlett, Louis Reynolds, 2015, « State of the art 2015 : a literature review of social media intelligence capabilities for counter-terrorism » Demos.
Richard Barrett, 2014, « The Islamic State,The Soufan Group », en ligne. http://soufangroup.com/wpcontent/uploads/2014/10/TSG-The-Islamic-State-Nov14.pdf, p. 47.
Christian Harbulot, 2015, « La France peut-elle vaincre Daech sur le terrain de la guerre de l’information ? », Ecole de guerre économique, Paris.
Marc Hecker, 2015 « Web social et djihadisme : du diagnostic aux remèdes » Focus stratégique, n° 57.
Weimann, Gabriel, 2014, « New Terriorism and New Media», Washington, DC : Commons Lab of the Woodrow Wilson International Center for Scholars.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Mohamed Anouar Lahouij
ATER à l’UFR INGEMEDIA. Laboratoire I3M Université de Nice Sophia-Antipolis, Université de Toulon. Courriel : lahouij@univ-tln.fr