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DOSSIER

Cécilia Brassier-Rodrigues, Agnès Bernard et Pascal Brassier

Le marketing et la communication du sacre dans la société contemporaine

Article

Texte intégral

1La société actuelle donne une place inédite à la communication et au marketing sous toutes leurs formes, et ce pour les objets les plus variés. Le sacré et le spirituel n’échappent pas à cette tendance. Le besoin de les convoquer est avéré et multiforme, certains parlant d’un nécessaire « réenchantement du monde » (Maffesoli, 2007), d’autres des liens subtils et profonds entre les activités de management et la dimension spirituelle propre à l’humanité et à une vision humaniste au sens large (Brasseur et Duick, 2013). Le besoin de sacré émane d’individus, de professionnels, comme des organisations dédiées au sacré. Des concepts propres à nos sociétés modernes, hors de toute organisation spécifique, fondent également ce besoin sous un autre angle (la République, la Nation, la Liberté, la citoyenneté, l’éducation, etc.).

2Le groupe de travail Hieros1 propose de faire du sacré un objet d’étude, en croisant les visions de deux disciplines complémentaires, la communication et le marketing, afin de répondre à une problématique commune : analyser la manière dont la dimension de sacré est présente dans les stratégies marketing-vente et de communication de et dans plusieurs types d’organisations dans la société actuelle. À l’instar de Durkheim (1912) qui, dans le contexte de la religion, avait déduit de ses travaux que ce qui liait des individus qui ne se connaissaient pas était le sacré, ce groupe cherche à déterminer si cette dimension, révélée dans les stratégies de marketing et de communication des organisations, permet de créer et/ou de renforcer le lien entre les individus, de donner du sens aux actes, etc., dans une société en perte de valeurs, empreinte de sacralité religieuse mais également laïque. Comme nous n’entendons pas utiliser le sens restreint de la notion, qui s’adosse à la divinité, nous nommerons sacré « une volonté sociale et non divine, en aucun cas suscitée par une transcendance » (Bernard, 2009).

Les travaux sur le sacré en communication

3Alors que la société actuelle est marquée par un phénomène d’individualisation, de rationalité et de matérialisme croissant, l’objet de recherche que représente le sacré suscite un intérêt manifeste en communication. Il rassemble ponctuellement des chercheurs dans des cahiers spéciaux (Essachess, 2011 ; Le Temps des Médias, 2011 ; Questions de communication, 2013 ; Esprit critique, 2014). Des travaux rendent ainsi visible et légitiment la place occupée par le sacré dans l’espace public et/ou dans l’espace privé en abordant la communication sous des angles différents.

4D’abord, et elles sont les plus nombreuses, des contributions font du religieux le terrain d’expérimentation privilégié du sacré. Certaines s’intéressent à la manière dont les médias servent une théologie de la communication, elles recherchent d’où vient la communication du sacré chrétien (Douyère, 2011, 2013). D’autres analysent la posture communicationnelle des acteurs religieux, parfois en mêlant sacré et secret (Dufour, 2013), parfois en examinant des pratiques religieuses. Ainsi, en prenant appui sur l’étude d’un pèlerinage, Agnès Bernard (2013) montre comment les pratiques communicationnelles peuvent rendre visible un groupe religieux dans l’espace public. Au plan international, les bases de données scientifiques – consultées sur la question de la communication et du sacré – renvoient également vers des travaux de recherche portant sur des questions religieuses. Pour autant, on ne peut pas limiter le sacré au religieux, car « vouloir entièrement contenir le sacré dans la religion reviendrait à négliger, ou pire, à nier qu’il existe d’autres formes de spiritualité avant les religions, lesquelles sont appelées à s’exprimer, à se développer en marge du religieux » (Boutaud et Dufour, 2013, p. 9).

5À côté de ce terrain d’études privilégié, des chercheurs se sont intéressés à l’analyse du sacré sous un angle artistique, reprenant ainsi la perspective de Cena (2008, p. 16) pour qui « les œuvres d’art et le respect qu’elles continuent d’inspirer redessinent aujourd’hui la carte du sacré ». Pour Agnès Bernard (2009) ou Anne Beyaert-Geslin (2010), la sacralité de plusieurs objets artistiques (des portraits et des photos) est analysée sous un angle sémiologique.

6Plus proches de notre problématique, des contributions font du sacré un élément fédérateur entre les individus, capable de rendre visibles des valeurs partagées permettant la constitution de groupes autour du « sacré-non religieux » (Bryon-Portet, 2014, p. 71). Dans ces travaux, le sacré est analysé par le prisme de l’engagement (Batazzi et Delaye, 2013) et du lien social (Brassier-Rodrigues, 2015 ; Huët, 2011). Ce faisant, l’espace public et l’espace privé sont associés à la réflexion sur le sacré. On peut parler de « sacralité laïque » (Bryon-Portet, 2014, p. 76).

Les travaux sur le sacré en marketing

7En marketing, le sacré est un sujet plus qu’original. Rares sont les travaux qui s’y consacrent. Néanmoins, quelques recherches procurent un socle théorique intéressant. Certaines ont tout d’abord exploré la dimension initiatique, voire sacralisante, de l’acte de consommation et de l’implication du client. C’est la recherche d’une certaine forme de transcendance, irrationnelle, émotionnelle, qui est mise en avant, via l’expérience du consommateur (Khalla, 2004). Bien que se situant clairement dans le contexte marchand et consumériste, on constate ici l’éloignement que l’individu souhaite exprimer vis-à-vis de l’argent, de l’utilité, de la possession, voire même de l’objet, symboles du monde physique. Est-ce que, comme le souligne Saïd Khalla (2004, p. 66), « Le consommateur du 21e siècle serait devenu éthique, écologique, éclectique, esthétique et spirituel » ?

8Pour certains chercheurs en marketing, cette attitude aurait conduit à développer les notions d’affect et de marketing expérientiel (Bourgeon et Filser, 1995). On peut parfois faire un constat très froid, sur ce sujet, à l’instar de Belk, Wallendorf et Sherry (1989, p. 1) : « Deux processus en marche dans la société contemporaine sont la sécularisation de la religion et la sacralisation du séculier. Le comportement du consommateur influence et reflète ces deux processus ». La simpliste conception rationnelle et matérielle de l’acte d’achat n’a donc plus, et ce depuis longtemps en recherche en marketing, la place centrale qu’elle a pu occuper dans le passé.

9C’est aussi de plus en plus vers des services, par conséquent vers de l’intangible, que sont drainés d’importants flux de consommation. Les instants, les espaces-temps, les lieux et les rencontres « de consommation » sont devenus des produits, au sens originel de résultante d’une action, produits par elle, comme l’est la découverte de soi dans la démarche spirituelle classique. D’aucun franchissent le pas en parlant de rite et de culte : les marques deviennent elles-mêmes de nouvelles icônes, ou objets sacrés (Turner, 1972).

10Pour conclure, ce bref état de l’art révèle que les travaux en communication et en marketing s’interrogent sur la manière dont le sacré investit la société actuelle. S’agissant des Sic, cela passe par l’étude de plusieurs dispositifs relevant de la communication. Les recherches en marketing, moins nombreuses, portent sur la société de consommation et introduisent une logique client. Un travail interdisciplinaire peut sembler en conséquence bénéfique pour mieux comprendre la manière dont le sacré investit les stratégies de marketing et de communication de plusieurs types d’organisations.

Bibliographie

Batazzi Claudine, Delaye Richard, « Les représentations du sacré chez les élèves-officiers de l’armée de l’air », Questions de communication, n° 23, 2013, p. 101-120.

Belk Russel W., Wallendorf Melanie, Sherry John F. « The Sacred and profane in consumer behavior : Theodicy on the odyssey », Journal of Consumer Research, n° 16, 1989, p. 1-38.

Bernard Agnès, « Le pèlerinage aujourd’hui : entre socialité et hagiothérapie », Questions de communication, n° 23, 2013, p. 57-78.

Bernard Agnès, « Portraits peints des présidents de la République Française : l’expression du sacré », Recherches en communication, n° 32, 2009, p. 181-206.

Beyaert-Geslin Anne, « Maria Giulia Dondero, Le sacré dans l’image photographique. Études sémiotiques », Questions de communication, n° 17, 2010, p. 325-327.

Bourgeon Dominique, Filser Marc, « Les apports du modèle de recherche d’expériences à l’analyse du comportement dans le domaine culturel », Recherche et application marketing, n° 10, 1995, p. 5-25.

Boutaud Jean-Jacques, Dufour Stéphane (dir.), Figures du sacré, in Questions de communication, n° 23, 2013.

Brasseur Martine, Duick Jean-Yves, « L’ouverture à la spiritualité d’un management en quête d’intégrité », Rimhe, n° 8/4, 2013, p. 2.

Brassier-Rodrigues Cécilia, « Le rituel de la pause-café au sein des organisations : à la poursuite d’efficacité sociale et/ou de performance ? », Essachess, vol 8, n° 1(15), 2015, p. 27-35.

Bryon-Portet Céline, Bertin Georges (dir.), Une société du sacré ? Désacralisations et re-sacralisations dans la société contemporaine, in Esprit Critique, 2014.

Bryon-Portet Céline, Coman Mihai (dir.), La communication et le sacré, in Essachess, vol. 4, n° 2 (8), 2011.

Bryon-Portet Céline, « Le sacré maçonnique et ses paradoxes », Esprit critique, 2014, p. 71-80.

Cena Olivier, « Si le sacré n’existe plus, l’art peut--il le réinventer ? », Télérama, Paris, 31 mai 2008, p. 3046.

Douyère David, « De l’usage chrétien des médias à une théologie de la communication : le père Emile Gabel », Le temps des médias, n° 17, 2011, p. 64-72.

Douyère David, « L’Incarnation comme communication, ou l’auto-communication de Dieu en régime chrétien », Questions de communication, n° 23, 2013, p. 31-56.

Dufour Stéphane, « Secret, silence, sacré. La trinité communicationnelle de l’Eglise catholique », Essachess, vol. 6, n° 2(12), 2013, p. 139-150

Durkheim : Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Retour sur un héritage, in Archives de sciences sociales des religions, n° 159, 2012-2013.

Huët Romain, « Quand les chefs d’entreprise célèbrent leurs engagements éthiques, Étude de la symbolique des cérémonies publiques de signature des chartes », Communication, vol. 28, n° 2, 2011.

Khalla Saïd, « Le sacré comme nouvelle approche du consommateur postmoderne », Management & avenir, n° 2, 2004, p. 65-81.

Maffesoli Michel, Le réenchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007, 208 p.

Maréchal Denis, Méadel Cécile, Veyrat-Masson Isabelle (dir.), Communiquer le sacré, in Le temps des médias, n° 17, 2011.

Turner Victor, Les tambours d’affliction, analyse des rituels chez les Ndembu de Zambie, trad. Marie-Claire Giraud, Paris, Gallimard, 1972, 168 p.

Pour citer ce document

Cécilia Brassier-Rodrigues, Agnès Bernard et Pascal Brassier, «Le marketing et la communication du sacre dans la société contemporaine», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 12-Varia, DOSSIER,mis à jour le : 11/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=421.

Quelques mots à propos de : Cécilia Brassier-Rodrigues

Université Clermont Auvergne, Communication et solidarité (EA 4647) et Centre de recherche clermontois en gestion et en management (EA 3849). Courriels : cecilia.brassier@univ-bpclermont.fr

Quelques mots à propos de : Agnès Bernard

Université Clermont Auvergne, Communication et solidarité (EA 4647) et Centre de recherche clermontois en gestion et en management (EA 3849). Courriels : agnes.bernard@univ-bpclermont.fr

Quelques mots à propos de : Pascal Brassier

Université Clermont Auvergne, Communication et solidarité (EA 4647) et Centre de recherche clermontois en gestion et en management (EA 3849). Courriels : pascal.brassier@udamail.fr