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DOSSIER
Les rites, des formes symboliques
Un dialogue au long cours entre Sic et anthropologie
Texte intégral
1Mes recherches sur le symbolique, couvrant deux décennies et demie, s’inscrivent dans un programme plus large mené sur les formes et les fonctions des rites dans nos sociétés. Nulle volonté de s’auto-célébrer dans ce texte à la première personne mais peut-être l’ambition de remettre l’église au centre du village – celui du sacré – dans un corpus de travaux et de publications que l’on pourrait penser à courte vue disparates. Car mes travaux sur le symbolique constituent bien mon ADN de chercheur. C’était déjà le cœur de ma thèse soutenue en 1993, inscrite en Sic mais ressortissant de l’anthropologie historique (« Les entrées royales renaissantes, d’un événement à ses discours » ; Lardellier, 2003). A fortiori mon HDR, terminée au tournant des siècles, proposait un dialogue entre anthropologie et communication, avec comme terrain, encore, les rites (Lardellier, 2004).
2Ce sont ces rites, et « l’extension postmoderne du domaine de la ritualité » – Beaujolais nouveau, Halloween, Fête des Voisins, Gay Pride, montée des marches du Festival de Cannes, confréries vineuses, dispositifs commerciaux ritualisés, corpus cérémoniel du GIGN, commensalité et convivialité… – qui ont été le terrain de prédilection exploré pendant ces plus de deux décennies, objets de maints articles, chapitres d’ouvrages. Ces théorisations ont toujours pris en compte la dimension matérielle des dispositifs symboliques étudiés, et les formes symboliques sous-jacentes. L’entreprise est généalogique dans l’esprit, consistant à mettre au jour « l’architecture du social », les fondations intangibles mais puissantes du social (cf. l’exclamation princeps de Durkheim : « Qu’est ce qui fait que cela tient ? »), en interrogeant les formes et les fonctions des rites dans nos sociétés. Plus largement, « l’anthropologie des mondes contemporains » que Marc Augé a proposée comme programme de recherche il y a vingt ans constitue la toile de fond du projet que je poursuis. Selon lui, notre « surmodernité urbaine » doit être considérée comme pourvoyeuse de terrains anthropologiques à part entière.
3Ainsi, et pour répondre à ce programme, des textes intitulés « Un anthropologue à… » ont été édités ou sont en cours de rédaction / publication1. Systématiquement, il s’agit d’investir des terrains « postmodernes » et d’en faire émerger les structures symboliques (rituelles) et narratives (mythologiques), dans une perspective sémio-anthropologique. « Un anthropologue au Festival de Cannes » a été suivi par « Un anthropologue au buffet à volonté », mais aussi « Un anthropologue à l’Apple store » et « Un anthropologue au Clos Vougeot ». Suivront bientôt « Un anthropologue au GIGN » et « Un anthropologue chez le tatoueur ». Et toujours, l’idée est de montrer la validité et la pertinence d’une lecture anthropologique de notre monde contemporain, encore plein de symbolique, de rites, de sacralité diffuse, à son corps défendant.
4Dans Nos modes, nos mythes, nos rites (2013), j’ai essayé d’interroger sur un mode léger – celui de la chronique journalistique – les imaginaires sociaux dans une perspective post-barthésienne. Là encore, il était question de ces « nouveaux rites » déjà étudiés en 2005 sous un titre éponyme. Ces approches croisaient encore, de points de vue méthodologique et conceptuel, la sémiologie et l’anthropologie. Enfin, l’ouvrage collectif sur les organisations et le sacré (Entreprise et sacré, 500 pages, 33 auteurs) codirigé en 2012 avec Richard Delaye a été une contribution d’importance (espérons-le !) à une réflexion collective sur les valeurs servant de soubassement aux organisations et institutions. Et là, c’est vraiment le symbolique dans ce qu’il a de plus radical et ultime qui a été étudié.
5Trois contributions récentes ont remis en perspective toutes ces recherches, en leur donnant cohérence et compacité. Ainsi, l’ouvrage Formes en devenir, approches technologiques, communicationnelles et symboliques (2013) entendait proposer une exploration dense et fouillée des formes sociales, technologiques et symboliques qui structurent la communication interpersonnelle et institutionnelle au sens large. Les auteurs réunis proposaient, à partir de terrains particuliers, une réflexion épistémologique exigeante, interdisciplinaire mais ancrée en Sic, par la problématisation et les perspectives théoriques ouvertes. On sort des études de cas, et on remonte aux formes de la communication. Le numéro de la revue Les Cahiers du numérique consacré au thème des « ritualités numériques » (2013) souhaitait faire le lien entre deux de mes objets de recherches de prédilection, les rites et les nouvelles technologies, et donc les médiations symboliques et technologiques. Enfin, l’ouvrage Erving Goffman, de l’interaction à l’institution (2015) entend apporter sa part au renouveau des études goffmaniennes, en plaçant son héritage dans la perspective des Sic. Et il est encore question des rites d’interaction comme formes symboliques, et de la place du corps dans la (re)production des relations interpersonnelles.
6Flash-back… Dès 2003, ma Théorie du lien rituel proposait une réflexion, qui se voulait ambitieuse, sur les formes symboliques permettant aux institutions et aux communautés d’activer un triple principe de scénarisation, d’esthétisation et de dramatisation, précisément offert par le rite ; une recherche donc en quête de structures et de formes subsumant les actions sociales dans leur apparente et incidente disparité. Derrière cela, la quête entêtée d’une unité. Le programme général était déjà énoncé, et je n’ai fait que développer, étoffer, étayer une intuition générale, celle de remonter aux formes qui préfigurent et configurent les relations sociales, horizontales en première lecture mais toujours en quête via le rite d’une verticalité garante de la transcendance, et sans doute d’un dieu caché dépositaire de l’unité des communautés. L’actualité récente (« union sacrée » et élan national après les vagues d’attentats de janvier et novembre 2015 et vogue du « Je suis Charlie » enthousiasmant – au sens étymologique de « prendre dans le souffle des dieux » – une grande partie de la communauté nationale) tendrait à aller dans le sens de cette intuition.
Bibliographie
Lardellier Pascal, Les miroirs du paon, rites et rhétoriques politiques dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Honoré Champion, 2002, 351 p.
Lardellier Pascal, Théorie du lien rituel, anthropologie et communication, Paris, L’Harmattan, 2004, 237 p.
Lardellier Pascal, Les nouveaux rites, du mariage gay aux Oscars, Paris, Belin, 2005, 223 p.
Lardellier Pascal, Rites, risques et plaisirs alimentaires, Cormelles-le-Royal, EMS, 2013, 191 p.
Lardellier Pascal, Nos modes, nos mythes, nos rites ; le social, entre sens et sensible, Cormelles-le-Royal, EMS, 2013, 271 p.
Lardellier Pascal, « Un anthropologue à l’Apple store. Notes sur le millénarisme d’Apple », Questions de communication, n° 23, 2013, p. 121-143.
Lardellier Pascal (dir.), Ritualités numériques, in Les Cahiers du numérique, vol. 9, n° 3-4, 2013.
Lardellier Pascal (dir.), Formes en devenir, approches technologiques, communicationnelles et symboliques, Londres, ISTE, 2014, 203 p.
Lardellier Pascal, « Un anthropologue au Clos Vougeot. Une analyse sémio-anthropologique de l’intronisation dans la ‘‘Confrérie des Chevaliers du Tastevin’’« , Lexia, n° 19-20, 2015, p. 197-212.
Lardellier Pascal, « Le rite, ‘‘porte ou pont’’ ? Glose simmelienne sur la nature religieuse des rites contemporains », in Douyère D., Dufour S. et Riondet O. (dir.), Communiquer le religieux : des rites aux médias numériques, Paris, L’Harmattan, coll. « Communication & Civilisation », 2016 (à paraître).
Lardellier Pascal, Delaye Richard (dir.), Entreprise et sacré, regards transdisciplinaires, Paris, Hermès Lavoisier, 2012, 506 p.
Notes
1 On se souvient de la série de Marc Augé précisément intitulée « Un ethnologue... dans le métro, à Center Parcs, à la Coupe du Monde… ».