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DOSSIER
La religion communique – christianisme catholique et communication
De quelques travaux menés
Table des matières
Texte intégral
1Par quelques travaux menés dans le champ « communication et religion » j’ai souhaité suivre l’intuition selon laquelle ce qu’une religion opérait en partie, c’est de la communication, si l’on entend par là la production et la diffusion de sens par des signes dans un contexte social donné. En effet, par ses images, les textes qui les cadrent, les « originent » ou les conçoivent, par son lexique propre et les discours qu’elle développe, par les formes matérielles qu’elle crée et les rites qu’elle agence, l’ingénierie sociale qu’elle construit, une religion – cette forme particulière de la culture, liée au politique et à l’histoire – fait advenir des figures, des dialogues avec des entités matérielles ou immatérielles, crée un espace de discussion, structure, forme et divise (Régis Debray) des communautés. Cette intuition m’était venue au carrefour d’une formation philosophique sur les « prestiges de la parole », la rhétorique et la sophistique, d’une brève expérience chrétienne ancienne et de la recherche menée en sciences de l’information et de la communication sur l’organisation, dans un cadre soucieux des enjeux sociaux et politiques de la communication dans l’espace public.
2Si j’ai commencé (2010 a) par l’étude d’un ordre religieux qui m’était quelque peu familier, celui des Dominicains, frères prêcheurs, formés au XIIIe siècle pour porter une parole évangélique dans l’espace public, structurée et nourrie par la contemplation et l’étude (contemplata aliis tradere : porter aux autres ce qui a été contemplé), mes travaux se sont ensuite développés en « faisceaux » pour analyser des sections et périodes différentes du christianisme catholique et montrer qu’il y avait de la communication, sous différentes formes, à différents moments, et essayer de montrer laquelle. La perspective a été de mettre en lumière le fait que le christianisme catholique avait développé des théorisations et des pratiques de la communication. Je reprends ici de façon synthétique ces approches en abordant successivement les théorisations, les pratiques discursives, la promotion de et par l’image, notamment par les voies numériques, et enfin les travaux de réflexion générale sur la recherche sur le religieux et le christianisme catholique.
Théorisations de la communication
3À partir d’un travail mené par Jean Devèze à la Société française des sciences de l’information et de la communication, la Sfsic (« La face cachée du titre », 1980, La Lettre d’Inforcom, ancêtre de ces Cahiers, n° 6, p. 11-16.), je me suis intéressé à la notion de communication sociale (2010 c), forgée au moment du concile Vatican II, par le père jésuite Enrico Baragli, pour permettre une théorisation nouvelle de l’utilisation des médias modernes, dans laquelle l’Église catholique avait déjà acquis une expérience, et éviter le recours à la notion de « mass medias », au profit d’une approche davantage centrée sur la personne, et sans doute en lien avec la doctrine sociale de l’Église. L’instauration de cette notion – à l’instar de ce qui s’est fait un peu plus tard dans la société civile – avec le décret conciliaire Inter Mirifica (1963), permettait de mettre fin à l’emploi de la notion d’origine ecclésiale, mais désormais entachée de totalitarisme criminel, de « propagande », à laquelle on ne renonçait pas cependant, sous de nouvelles formes.
4Mon travail s’est ensuite intéressé à d’autres formes de théorisation chrétienne de la communication. Celle, repérée par le philosophe Jean-Louis Chrétien et Michel de Certeau, de la communication angélique au Moyen Âge (2011 a) : prêter aux anges du ciel une communication, c’est penser la communication sans corps mais voir aussi comment elle s’incarne quand il s’agit de parler aux hommes. Celle, ensuite, théologique, de l’Incarnation (2013) par laquelle « le Verbe se fait chair » ; l’étude du Catéchisme de l’Église catholique et de travaux de Thomas d’Aquin, du concile Vatican II ou du théologien de « l’auto-communication de Dieu » Karl Rahner montre en effet une compréhension du dogme de l’Incarnation comme une « communication » du dieu chrétien. Cette communication est évidemment première, et fondamentale, originante autant que restauratrice. Ceci m’a amené – et je souhaite poursuivre cet axe – à étudier d’autres « théologies de la communication » : celle (2011 c) du praticien des médias catholiques Émile Gabel (1908-1968) qui, après avoir été rédacteur en chef de La Croix, journal de la Une duquel il fit enlever le crucifix qui l’ornait préalablement, et président de l’UIPC (qu’il transforme en Ucip, Union chrétienne internationale de la presse, devenue désormais l’Icom), élabora les linéaments d’une théologie de la communication qui voyait en Jésus-Christ, avant le concile, le « grand communicateur ». Celle (2014 d), plus contemporaine sans doute, du brésilien Carlos Josaphat Pinto de Oliveira (né en 1922), dont les premiers travaux étaient proches des futurs théologiens de la libération, et qui se fit théologien moraliste de la communication sociale, soucieux, avec le rapport McBride, de l’équilibre des rapports Nord Sud, et voyait dans la paix sociale et le développement de la communication équilibrée quelque prélude du royaume de dieu, socialement ancré.
Pratiques discursives
5Je me suis ensuite intéressé à certaines pratiques discursives chrétiennes, notamment celles de la prédication (2015 a), en étudiant comment une association interdiocésaine française, rebaptisée Homélior, s’efforçait d’améliorer la préparation des homélies dominicales des prêtres et diacres mariés en leur faisant travailler « la communication » (posture corporelle, structuration du discours, regard). Le discours est aussi, celui, mystique, d’une sainte qui s’adresse à dieu et l’entend à son tour (2012), faisant porter consignation de ce dialogue. Catherine de Sienne (XIVe s.) vit ainsi une expérience de parole, proprement communicationnelle, d’incarnation de la parole de dieu chrétien, jusqu’à en porter les stigmates « spirituels ». Un discours étudié est enfin celui de la pratique de l’accompagnement spirituel, comparé au coaching managérial contemporain, dans une analyse menée avec Geneviève Guilhaume (Mica) en 2011. La préparation des frères prêcheurs au discours a été, enfin, un de mes premiers objets d’étude (2010 b) dans ce domaine. Le dernier travail opéré dans ce champ est celui mené sur le journal du théologien et historien Yves Congar (1904-1995) durant le concile Vatican II. Expert au concile dans plusieurs commissions, ses notes attestent des échanges entre les pères, de la façon dont se construit la doctrine renouvelée, dont elle s’écrit, jusque dans le choix des mots qui vont dire le message chrétien. Ce travail, qui constitue une part conséquente de mon habilitation à diriger des recherches, La Communication requise (2014, dir. F. Lambert et J. Le Marec), reste à ce jour inédit.
Image chrétienne et pratiques numériques
6Des travaux sur l’image ont permis de réfléchir à la fonction de l’image de piété chrétienne dans la construction de la foi et à sa transposition sur supports numériques (2014 b). Le rôle d’une série d’images pour une communauté et sa visibilité comme celle des « Neuf manières de prier de saint Dominique » (fin XIIIe s.), a également été étudié (2014 c). Se montre ainsi un récit formateur qui initie aux pratiques de prière et figure une âme « devant Dieu », en dialogue avec lui. Dans ce contexte, ont été également étudiés (2011 b, 2015 c) les diaporamas de prière (powerpoints chrétiens) produits par des religieuses d’une abbaye bénédictine québécoise, Sainte-Marie des Deux Montagnes, dans lesquels il m’a semblé voir une « prière assistée par ordinateur » (« PriAO ») quand les sœurs y voyaient plutôt une « prière assistée par Jésus »… Le diaporama présente en effet une médiation structurée, selon la tradition chrétienne, qui se déroule au clic, et enchaîne textes et chants liturgiques, icônes et images pieuses ou de la nature, explications spirituelles et adresses au « Seigneur ». Cette réalisation s’inscrit, en mode numérique, dans le droit fil de l’artisanat monastique qui élabore des objets et images destinés à être les objets-supports de la prière (2015 c). Cet objet permet en partie de penser l’appropriation par le christianisme catholique du « continent numérique », suivant le mot du pape Benoit XVI, afin d’en opérer « l’évangélisation ». Ceci montre également que tous les dispositifs matériels, de l’icône à l’électronique, comme aurait dit le théoricien de la communication catholique Marshall McLuhan, sont mobilisés par l’Église catholique pour faire apparaître le dieu chrétien, et permettre d’entrer en relation avec lui. La coordination du numéro n° 1-2 (vol. 9, 2015) de la revue franco-canadienne tic & société, « Les religions au temps du numérique », regroupant dix articles sur le christianisme, l’islam et le syncrétisme religieux en ligne, a permis d’approfondir ce champ et d’apporter à la fois une structuration de ses objets et une synthèse bibliographique et scientifique de quelques travaux menés en France et outre-Atlantique (2016).
Approches générales de la communication religieuse
7Je me suis efforcé de faire apparaître les mutations communicationnelles de l’Église catholique au XXe siècle dans le bilan du siècle en la matière proposé par Hermès (2015), tandis qu’un numéro de Communication & Langages (2016, à paraître) consacré plus spécifiquement à la communication chrétienne permettra d’ouvrir des perspectives, historiques et actuelles, sur ce champ.
8Des travaux plus généraux ont été menés, également, pour ouvrir des perspectives de recherche (2010) ou une discussion avec un chercheur expérimenté ayant mené une réflexion sur le judaïsme orthodoxe, le religieux, le spiritisme et la technique (Jeremy Stolow, 2014). La coordination, avec Stéphane Dufour et Odile Riondet, dans le cadre du réseau Relicom, d’un numéro (n° 38) de la revue MEI, Médiation & information, en 2014, a permis de rassembler seize articles de chercheurs de plusieurs pays travaillant sur le judaïsme, l’islam, la religion latine, le christianisme, et leurs liens à la communication, considérant aussi bien les prières à sainte Rita sur Facebook, la médiatisation dans un culte pentecôtiste, la fonction théologique de la musique, le sens de l’architecture religieuse chrétienne, le discours sur le « voile islamique », que le discours moral des prédicateurs télévisés au Sénégal.
9Un premier panorama de la recherche française en Sic sur le religieux et la communication, enfin, a été dressé (2014), et des pistes méthodologiques tracées, avec Stéphane Dufour et Odile Riondet (MEI, n° 38, 2014). Un ouvrage coordonné avec ces deux collègues, Communiquer le religieux : du rite aux médias numérique, doit paraître prochainement (2016).
10Cette recherche que j’ai menée visait avant tout à montrer les développements théoriques et pratiques de la communication en contexte catholique. Elle a pris appui sur des analyses de textes (théologiques, mystiques, journal de concile, documents officiels de l’Église) et de doctrines (théologiens, catéchisme), des études de terrain (prédication), d’objets (images de piétés, powerpoints de prière). Ce travail a été poursuivi grâce à l’intérêt de plusieurs collègues, grâce à des échanges en colloque et séminaires, auxquels je dois beaucoup. Le développement du réseau de recherche Relicom, « Communication et espaces du religieux », avec Odile Riondet et Stéphane Dufour, a fortement accompagné la naissance de ce travail, qui va se poursuivre, tant il me semble que le travail sur la communication religieuse aide autant à comprendre ce qu’est une « religion » que ce qu’est la communication.
Bibliographie
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Douyère David, « Une organisation fondée pour communiquer : l’Ordre des frères prêcheurs (1215-1228) », Loneux, Catherine, Parent, Bertrand (dir.), Communication des organisations : recherches récentes, Paris, L’Harmattan, 2010 (b), tome 1, p. 145-152.
Douyère David, « La communication sociale : une perspective de l’Église catholique ? Jean Devèze et la critique de la notion de “communication sociale” », Communiquer, revue de communication sociale et publique, Uqàm, Montréal, n° 3-4, 2010 (c), p. 73-86, http://www.revuecsp.uqam.ca/numero/n3-4/pdf/RICSP_Douyere_2010.pdf.
Douyère David, “Communication : on being an angel, Incarnation and angelic communication in medieval Christian theology : modern reflections, starting with Thomas Aquinas’s Summa Theologica”, trad. John Doherty, Communication and Critical / Cultural Studies, Special Forum “Communication as Incarnation”, nca, vol. 8, Issue 2, 2011 (a), p. 188-193, http://www.informaworld.com/smpp/content~db=all~content=a937176644~frm=titlelink.
Douyère David, « La prière assistée par ordinateur », Médium, n° 27, 2011 (b), p. 140-154.
Douyère David, « De l’usage chrétien des médias à une théologie de la communication : le père Emile Gabel », Le Temps des médias, n° 17, 2011 (c), p. 64-72.
Douyère David, ‘‘On the representation of a dialogue with God : Catherine of Siena and mystical communication’’, François Cooren, Alain Létourneau (dir.), Dialogue and (Re)presentation, International Association for Dialogue Analysis, Amsterdam, Philadelphia, John Benjamins Publishing, coll. « Dialogue studies », 2012, p. 161-176.
Douyère David, « L’Incarnation comme communication, ou l’auto-communication de Dieu en régime chrétien », Questions de communication, n° 23, 2013, p. 31-55.
Douyère David, « La recherche en Sic sur le sacré et le religieux », Les Cahiers de la Sfsic, n° 9, 2014 (a), « Actualité de la recherche », p. 107-116.
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Douyère David, « Religion et communication : des mutations communicationnelles du christianisme catholique au XXe s. », suivi de « Controverse sur la nouvelle évangélisation » (encadré), Hermès, n° 71, Le xxe siècle saisi par la communication, vol. 2 : Ruptures et filiations, 2015 (b), p. 225-236.
Douyère David, « Accompagner et susciter la prière à distance : les prières méditatives en diaporamas de l’abbaye bénédictine Sainte-Marie des Deux-Montagnes », dans Duteil-Ogata F., Jonveaux I., Kuczynski L., Nizard S. (dir.), Le Religieux sur internet, Paris, Association française de sciences sociales des religions (afsr), L’Harmattan, coll. « Religions en questions », 2015 (c), p. 217-230.
Douyère David (coord.), Les religions au temps du numérique, in tic & société, vol. 9, n° 1-2, 2015 (d), https://ticetsociete.revues.org/1820.
Douyère David, « De la mobilisation de la communication numérique par les religions », tic & société, vol. 9, n° 1-2, 2015 (e), https://ticetsociete.revues.org/1822.
Douyère David, Dufour Stéphane et Riondet Odile (coord.) (2014), Religion & Communication,in mei, Médiation & information, n° 38, Paris, L’Harmattan, 2014, 17 articles, 238 p., http://www.mei-info.com/consulter/?mei=38; contient « Introduction – Étudier la dimension communicationnelle des religions », p. 7-20.
Douyère David, Guilhaume Geneviève, « Peut-on établir un lien entre coaching et accompagnement spirituel chrétien ? », Actes du colloque Management et Religions, dir. Barth, Isabelle, Humanis/Large, ems, Université de Strasbourg, 2011, carte usb [63 367 signes espaces comprises].
Douyère David, entretien avec Jeremy Stolow, « Religion et communication : du judaïsme orthodoxe au spiritualisme technique », mei, Médiation & information, n° 38, L’Harmattan, 2014, p. 21-42.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : David Douyère
Université François-Rabelais, Prim, iut de Tours. Courriel : david.douyere@univ-tours.fr