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MONDE PROFESSIONNEL, FORMATION

Bruno Chaudet

Valoriser les relations entre « professionnels » et « chercheurs »

Article

Texte intégral

1Les chercheurs en sciences de l’information et de la communication et le monde professionnel entretiennent des relations étroites depuis de longues dates (CIFRE, recherche-action…). Pourtant, ces relations sont éparses, fragmentées voire ambigües (Morillon, 2016) et disposent finalement de peu de visibilité si bien que l’opinion dominante est que ces deux mondes ne se connaissent pas et ne se fréquentent pas. Développer ces relations et les faire connaître est précisément le projet de la commission relation professionnelles de la Société française des sciences de l’information et de la communication. Pour montrer l’état de nos relations, nous présentons dans cet article deux table-rondes organisées lors du congrès de la SFSIC à Toulon en 2014. Nous détaillerons ensuite une convention de partenariat nouée avec l’association Communication & Entreprise.

SIC et innovation

2Animée par Denis Gaste (Toulon), Franck Debos (Nice) et Frédéric Ely (Nice), la première table-ronde associant des professionnels et des chercheurs a développé la question de l’innovation sous trois thématiques illustrées par des vidéos : « Innovation, processus et méthodes », « Co-conception et créativité en question » et « Enjeux et stratégie des acteurs ». Processus particulièrement convoité, l’innovation a réuni de nombreux professionnels de secteurs très variés venus débattre avec les chercheurs. Qu’ils en soient d’ailleurs ici remerciés très chaleureusement : Pierre Louis (Perrin Primi), Dominique Bablon (Eurocopter), Florient Favier (Parc national du Mercantour), Thibault Canuti (Directeur de la Médiathèque départementale du Var), Gerry Bouillaut (Directeur de l’Hôtel des Arts), Patrick Valverde (Directeur général TVT), Ricardo Vasquez (Directeur actions culturelles conseil général du Var), Marie Tatibouet (Responsable cellule énergie de la Métropole Nice Côte d’Azur), Michèle Ottombre-Borsoni (Directrice CRDP, Nice), Jean-Marc Réol (Directeur de l’Ecole supérieure d’Arts, Toulon), Lena Roudil (Airbus heliopters), Arnaud Demellier (Directeur de la Direction commune des systèmes d’information de TPM), Sylvie Jallifier-Verne (Directrice de la mission coordination générale et transversalité de TPM), Brigitte Trousse (Représentante Inria du ICT).

3Cette table-ronde a montré l’intérêt des professionnels pour la recherche universitaire tandis que les chercheurs ont été moins mobilisés par cet échange, non par désintérêt mais en raison de la densité du programme du Congrès. Toujours est-il que la thématique de l’innovation telle qu’elle est pensée par les professionnels trouve des ressources dans nos réflexions et travaux au sens où les sciences de l’information et de la communication développent des recherches et des méthodologies de manière à penser les interactions, les relations et les divers « investissements de forme » (Thévenot, 1986). Cette table-ronde a ainsi montré que les sciences de l’information et de la communication sont une interdiscipline ancrée dans les organisations, ce qui la rend en quelque sorte complémentaire des sciences de gestion par exemple, ou de la sociologie des organisations pour ne citer que ces deux disciplines. Nous pouvons cependant observer que si les milieux professionnels (entrepreneuriaux notamment) peuvent associer le volet communicationnel des SIC avec la créativité (en publicité et dans l’évènementiel par exemple), ces derniers ne relient pas naturellement ce champ disciplinaire aux thématiques de l’innovation, de la co-conception, des processus, des méthodes d’organisation… Les organisations en général ne nous identifient pas sur cette question des communications organisationnelles au sens de communication organisante c’est à dire au sens où l’information-communication construit l’organisation (Bouillon, Bourdin, Loneux, 2007).

4La plupart des organisations considère généralement que notre expertise relève du champ des Public Relations. L’information et la communication sont le plus souvent considérées par les organisations comme des techniques, ou mieux, comme des stratégies de relations publiques (interne et externe), de mise en légitimité de l’action, de valorisation de l’entreprise, bien avant que d’être une question d’innovation, de processus, de productivité ou d’industries créatives.

5Cette table ronde a montré que les chercheurs en information-communication sont aussi des experts de l’étude des interactions, de réflexions et de propositions sur les process d’innovation, de l’analyse des relations au sens procédural ou processuel du terme. Cette prise en compte de la notion d’information et de communication comme processus de mise en forme (Le Moënne, 2015), et au premier desquels les processus d’innovation, rejoint finalement le programme du groupe de travail Org&Co et appelle à le poursuivre en démontrant que l’information-communication, ce n’est pas qu’une question de relations publiques, elle est aussi une question d’organisation, de mise en forme, d’interactions situées, d’innovation, etc…

6Comme nous le verrons un peu plus bas avec la seconde table-ronde, les 40 fiches métiers de la communication produites par dix syndicats et associations professionnelles nationales du secteur de l’information-communication n’identifient d’ailleurs pas cette expertise. Les animateurs de communauté, les assistants chef de projet événementiel, les directeurs du développement, les responsables communication RH… développent des stratégies de communication mais à aucun moment il n’est question d’expertise en matière de relations, de méthode de description des interactions de manière à dégager de l’innovation. À aucun moment il n’est question de la capitalisation et de la mobilisation des savoirs, de la co-conception… 

7D’ailleurs, lorsque nous abordons ces sujets avec des directeurs de communication par exemple, la plupart du temps ils ne voient pas du tout en quoi cela relèverait de l’information et de la communication.

8Prenons l’exemple du développement des interactions via des interfaces numériques entre les acteurs de l’habitat afin de construire ou réhabiliter des logements. Nous parlons bien des problématiques informationnelles et communicationnelles pour capitaliser des données, des informations et des connaissances dans des logiques processuelles. Mais les professionnels de l’information-communication ne participent pas à ces projets. Ce sont le responsable des partenariats institutionnels, le directeur de la mission numérique, le directeur de la maîtrise d’ouvrage…

9Il y a ainsi toujours un travail de « traduction » à opérer de manière à faire comprendre que l’information-communication est aussi un processus de mise en forme qui ne passe pas seulement par le langage, mais qui procède d’un ensemble d’interactions situées et médiatisées qui influencent le processus de communication.

10Cette table-ronde s’est inscrite dans cette perspective travaillée depuis de nombreuses années par notre discipline, mais que la fonction communication dans les organisations a du mal à intégrer.

Les métiers entre évolution et référentiels

11Une deuxième table ronde, co-organisée dans le cadre du groupe d’études et de recherches Org&Co par Sylvie Parrini-Alemanno (Org&Co), Valérie Lépine (SFSIC) et Bruno Chaudet (SFSIC), s’est ensuite déroulée avec d’autres professionnels et a porté sur l’évolution des compétences et des métiers en information et communication. Trois représentantes d’associations professionnelles sont venues partager leurs analyses sur ce thème : Frédérique Pusey, présidente du Synap (Syndicat national des attachés de presse et des conseillers en relations publiques), Charlotte Kifidis, déléguée Sud-Est Communication & Entreprise, et Dominique Mégard, présidente de Cap’Com.

12Pour traiter de cette question, Frédérique Pusey a commencé par présenter les résultats d’une enquête nationale auprès des attachés de presse et des annonceurs sur l’état des pratiques actuelles des professionnels des relations presse. Il en ressort un profond bouleversement. L’explosion des usages numériques a fait émerger un ensemble de publics avec lesquels les attachés de presse et les annonceurs peuvent directement s’adresser pour construire des relations. Cette évolution numérique et médiatique amène ainsi à s’interroger sur le périmètre d’activités des attachés de presse dont le nom ne semble plus refléter la réalité. Au même titre que le syndicat français des relations publiques, Syntec RP, a modifié son appellation « Publiques » en « Publics » le 7 juin 2011, le Synap propose de rebaptiser les relations presses en relations médias et pointant le fait que les attachés de presse sont désormais surtout des conseillers en relations médias.

13Charlotte Kifidis a, quant à elle, présenté le référentiel des métiers de la communication (http://metiersdelacommunication.fr/qui-sommes-nous/), 40 fiches métiers proposées par dix syndicats et associations professionnelles du secteur de la communication (AAAC, AFCI, ANAé, Club des annonceurs, Communication & Entreprise, Communication publique, Information Presse & Communication, Synap, Syntec RP et l’Union des Annonceurs). Ce travail de longue haleine, mené sur 36 mois, avait au début identifié une centaine de métiers que les associations ont finalement décidé de réduire à 40 dans un souci de lisibilité. Les métiers y sont rassemblés en quatre grandes familles : Commercial / Développement, Conseil en communication, Création et contenus, et Fabrication / Production.

14Ces fiches métiers amènent notamment à s’interroger sur les périmètres d’activités de la fonction et sur la manière dont les professionnels pensent leurs missions. Qu’entend-on en effet par les métiers de la communication ?

15Dans leur grande majorité, ces fiches métiers définissent ainsi les métiers de l’information et de la communication dans leur capacité à transmettre des signaux symboliques auprès de leurs publics, pour leur transmettre un message ou pour agir sur leurs imaginaires, pour créer une relation de confiance, etc.

16Mais nous ne trouvons par exemple rien sur la question de la capitalisation des données, des informations, des connaissances et des savoirs. Or, la question de la connaissance est devenue tout à fait centrale. Comment distinguer donnée, information, connaissance et savoir ? Ce sont des distinctions centrales aujourd’hui qui demandent à dépasser la vision de la communication comme fonction qui transmet des messages ou fabrique des imaginaires. Mais alors, comment pourrions-nous travailler de manière plus étroite avec les professionnels ?

Une convention pour la valorisation professionnelle de la recherche

17Au sein de la SFSIC, la commission relations professionnelles a pour objectif de faire connaître la recherche universitaire auprès du monde professionnel. Pour cela, elle noue des partenariats avec les associations professionnelles en information et communication. En relation avec la commission formation, des réflexions et des partages d’expériences sont aussi menées sur la professionnalisation et l’acquisition de compétences info-communicationnelles, au cours de la formation universitaire et en formation tout au long de la trajectoire professionnelle.

18Dans la première mandature 2012-2014, la commission a commencé par rencontrer une partie des associations professionnelles en information et communication : Communication & Entreprises, AFCI, Synap, Syntec RP, Communication publique, Cap’com… Cette mise en relation doit se poursuivre et se consolider en rencontrant notamment les autres grandes associations professionnelles.

19Dans la mandature 2014-2016, nous avons poursuivi le travail de mise en relation en organisant des table-rondes au congrès de la SFSIC en 2014 et aux doctorales en 2015.

20Le développement de nos relations avec les associations professionnelles a pris un nouvel élan le 10 septembre 2015 avec la signature d’une convention de partenariat entre la SFSIC et Communication & Entreprise. Signée lors de l’Académie scientifique co-organisée par les deux associations, cette convention de partenariat a pour ambition de développer la valorisation professionnelle de la recherche en SIC. La finalité est de permettre aux membres des deux associations de mieux connaître leurs activités mutuelles et d’accéder à leurs productions respectives.

21Ce partenariat se développe notamment via le travail du comité scientifique de Communication & Entreprise qui se trouve renouvelé pour l’occasion. Le comité scientifique est ainsi désormais composé de professionnels désignés par Communication & Entreprise et d’enseignants-chercheurs proposés par le conseil d’administration de la SFSIC. Le vice-président chargé des relations professionnelles de la SFSIC est membre de droit de cette commission. Ce comité est aujourd’hui composé de : Olivier Beaunay (CCI Paris Ile-de-France, co-pilote du comité), Bruno Chaudet (SFSIC), Elizabeth Gardère (SFSIC), Sylvie Parrini-Alemanno (I3M), Valérie Lépine (SFSIC), Françoise Bernard (SFSIC), Fabien Bonnet (CRESAT), Didier Chauvin (PREFICS Rennes), Frédérique Pusey (Synap), Thierry Libaert (EDF), Assaël Adary (Occurrence), Laurence Guillerm (Association des sociétés françaises d’autoroutes) et Karine Berthelot-Guiet (CELSA).

22Plusieurs projets sont en cours d’élaboration :

23Il s’agit d’abord de poursuivre les académies scientifiques déjà proposées par Communication & Entreprise. Fonctionnant sur le principe d’un dialogue entre un communicant et un chercheur sur un thème commun, ces académies sont un lieu privilégié de rencontres annuelles. En 2013, sept binômes ont restitué des travaux sur la responsabilité sociale des entreprises. En 2014, le thème a porté sur la communication de crise. En 2015, en collaboration avec la SFSIC cette fois, l’académie a développé les liens entre communication et sociétés. En 2016, en prolongement du congrès de la SFSIC, l’académie scientifique portera sur les questions de temporalités.

24Le comité souhaite également développer la connaissance des dispositifs de bourse CIFRE. Des rencontres sur ce thème entre des étudiants en master, jeunes doctorants et organisations sont en cours de préparation.

25Il s’agit également de faire se rencontrer les adhérents de nos deux associations en régions. Le partage de nos fichiers de laboratoires et d’organisations sera un premier pas grâce auquel la SFSIC et Communication & Entreprise pourront collaborer au niveau territorial. Des visites d’organisations et de directions de la communication ou la mise à disposition de documents peuvent aussi être organisées selon les demandes formulées par les chercheurs. Le travail est à poursuivre.

Bibliographie

Bouillon J .-L., Bourdin S. et Loneux C., « De la communication organisationnelle aux « approches communicationnelles » des organisations : glissement paradigmatique et migrations conceptuelles », Communication et organisation, 31 | 2007, 7-25.

Le Moënne C., « Pour une approche « propensionniste » des phénomènes d’information – communication organisationnelle », Communication et organisation, 47 | 2015, 141-158.

Lépine V. (2016), « La professionnalisation comme mise en mouvement », colloque Trente ans de recherche sur les communications organisationnelles en France, Rennes, 2016.

Morillon L. (2016), « L’ambiguïté des interactions praticiennes dans le champ de la communication des organisations », colloque Trente ans de recherche sur les communications organisationnelles en France, Rennes, 2016.

Thévenot, L. (1986), « Les investissements de forme », in Thévenot, L. (ed.) Conventions économiques, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 21-71.

Pour citer ce document

Bruno Chaudet, «Valoriser les relations entre « professionnels » et « chercheurs »», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 12-Varia, MONDE PROFESSIONNEL, FORMATION,mis à jour le : 11/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=471.

Quelques mots à propos de : Bruno Chaudet

Université Rennes 2. PREFics. Courriel : bruno.chaudet@univ-rennes2.fr