Aller la navigation | Aller au contenu

DOSSIER

Bernard Miège

La pratique de l’interdisciplinarité en SIC

Article

Texte intégral

1En quoi un laboratoire comme le Gresec porte-t-il la marque, dans sa production scientifique comme dans les orientations qu’il se donne régulièrement, de méthodologies de recherche que l’on doit qualifier d’interdisciplinaires ? En quoi est-il fondé à revendiquer ce trait en quelque sorte constitutif de ce qui le fonde et le caractérise par différence avec d’autres unités de recherche ?

2À ces interrogations, on apporte le plus souvent des réponses incomplètes et insuffisamment argumentées en faisant observer que, comme une trentaine d’autres unités ou équipes, avec sans doute une plus grande ancienneté que la plupart, il se rattache institutionnellement aux sciences de l’information et de la communication (on sait qu’on devait plutôt dire : sciences de l’information-communication), et que c’est également le cas maintenant de la très grande majorité de ses membres enseignants-chercheurs, surtout les plus jeunes ainsi que les nouveaux docteurs et doctorants associés. Mais ce fondement disons socio-institutionnel, s’il ne s’agit pas d’en minimiser l’influence dans l’environnement universitaire, académique et scientifique, surtout lorsque nombre de disciplines de sciences humaines et sociales, et même d’autres, ainsi que des propositions nouvelles traversant aisément les champs du savoir telles les humanités numériques, entendent prendre en charge les domaines considérés sans trop fonder épistémologiquement leurs approches, ne saurait aujourd’hui suffire à qualifier l’orientation d’un laboratoire de SIC. Et ce, d’autant plus que celles-ci devenues une discipline comme beaucoup d’autres : les sciences informatiques (faussement dénommées informatique, au singulier), les sciences biologiques, et même les sciences économiques, etc., tout en étant comme elles reconnues comme des disciplines, gardent des caractéristiques fortes d’une interdiscipline, c’est-à-dire des disciplines dont elles sont issues.

3Qu’est-ce donc qui traduit ce recours maintenu une interdisciplinarité en action qui est au centre de l’activité des chercheurs du Gresec, alors même que leurs inspirations théoriques demeurent plus diversifiées qu’ils ne semblent de l’extérieur, parfois en relation ou en continuité avec leurs disciplines d’origine ou de formation (sciences de la société, linguistique, informatique, etc.) ? À la réflexion, il m’apparaît que trois éléments constitutifs du laboratoire et énoncés comme tels dans les programmes mis en œuvre durant plusieurs plans quadriennaux voire maintenant quinquennaux, sont au principe de cette pratique interdisciplinaire communément admise ; je les cite sans les détailler car chacun d’entre eux a déjà fait l’objet de plusieurs présentations, individuelles ou collectives ; c’est à la fois :

  • l’appel à des techniques de recherche issues de plusieurs disciplines, et à chaque fois au moins à deux d’entre elles, et surtout à celles de l’enquête sociologique et à celles de l’analyse des discours sociaux ;

  • le recours autant que possible à des travaux de terrain et quand il est envisageable, à l’aide des données recueillies, de valider les hypothèses de recherche ;

  • et l’emploi d’une méthodologie interdimensionnelle qui s’est forgée progressivement ou plutôt qui a été formalisée après avoir été mise en œuvre (qu’on me permette renvoyer à B. Miège, « Pour une méthodologie inter-dimensionnelle », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne, 1 | 2012, mis en ligne le 6 juillet 2012, consulté le 22 janvier 2015. URL : http://rfsic.revues.org/121) et qui vise à articuler, selon des protocoles de recherche variables, stratégies des industries de la communication, activités des artistes et intellectuels contribuant à la conception, stratégies des éditeurs, producteurs et diffuseurs, pratiques culturelles, formation des usages des outils supports des pratiques, et consommations-réceptions des contenus.

4Ces éléments sont spécifiquement d’ordre méthodologique (au sens fort et premier du terme) ; d’une certaine façon, ils prévalent sur les fondements d’ordre théorique, mais ils sont essentiels dans la pratique d’une interdisciplinarité assumée. D’autres modalités jouent un rôle non négligeable dans ce qu’il faut bien évaluer dorénavant comme un projet poursuivi, à savoir :

  • le travail au sein de petits collectifs de travail, régulièrement renouvelés en fonction des chantiers engagés, et mêlant « statuts » différents ainsi que des compétences variables ;

  • des échanges réguliers entre les quatre axes de recherche, et en particulier le fait que la plupart des chercheurs ne restent pas cantonnés à un seul de ces axes : non seulement des séminaires transversaux ont vocation à favoriser les discussions inter-axes, et la circulation des compétences, mais, en fonction des sujets, des groupes de travail se forment, à échéance variable. Personnellement, pendant longtemps, j’ai été associé de facto à trois de ces axes, et plus récemment j’ai même été sollicité par le quatrième ; et je ne suis pas seul dans ce cas ;

  • et l’inscription des recherches dans la longue durée, ce qui permet d’échapper aux dérives d’approches précipitées et souvent techno-déterminées, encore fréquentes en Information – Communication.

5Ce positionnement est-il productif de connaissances, et particulièrement de connaissances significatives, ayant marqué des avancées assez décisives en SIC ? Le bilan précis n’en a pas été effectué, du moins sous cet angle, y compris lors de la dernière préparation du Plan pluriannuel. Et il excède l’objectif de ce papier. Mais ma réponse est incontestablement positive. Des manifestations de ces avancées, j’en trouve aussi bien dans des articles, des rapports de recherche, des résultats de colloques, des mémoires de recherche doctorale ou des mémoires en vue de l’habilitation à diriger les recherches. En voici trois exemples parmi d’autres, qui aident à éclairer cette démarche :

  • si pendant longtemps la plupart des chercheurs du Gresec ont partagé, non sans prises de distances certaines, la problématique ouverte par la dite « sociologie française des usages » des Tic, voici près d’une dizaine d’années, la perspective interdisciplinaire et interdimensionnelle présentée ci-dessus a débouché sur une critique argumentée de cette approche, insistant sur la nécessité de relier ces travaux avec ceux portant sur les stratégies de la communication ainsi que les stratégies de publicisation et de médiatisation ;

  • de même, des articulations ont été mises en évidence entre le cycle de la valeur de filières d’industries culturelles (musique enregistrée, cinéma et audiovisuel) de la création à la consommation et aux usages, avec l’émergence des nouveaux dispositifs numériques d’accès aux productions ;

  • enfin, la relation désormais régulièrement recherchée entre les productions de la filière info-documentation avec les multiples formes d’usages auxquels elle donne lieu dans des cadres professionnels bien spécifiés, est une tendance nette qui illustre bien la coopération inter-axes celle-ci étant devenue progressivement une marque forte du laboratoire Gresec.

6Ce projet d’une interdisciplinarité en action se poursuit ; il n’est pas indépendant de modalités organisationnelles spécifiques ; et il est en rapport avec des bases théoriques qui se sont progressivement précisées, au sein de l’ensemble des SIC.

Pour citer ce document

Bernard Miège, «La pratique de l’interdisciplinarité en SIC», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 11-Varia, DOSSIER,mis à jour le : 17/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=546.