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DOSSIER

Jean-Stéphane Carnel

Information, communication et images d’astrophysique : le projet Cybele

Article

Texte intégral

1Né dans le cadre d’un projet Peps (Projets Exploratoires Premier Soutien), co-financé par le CNRS et la COMUE de Grenoble Alpes, le projet Cybele réunit deux unités de recherche, l’une est issue des Sciences de l’Univers (SU) : l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG) et l’autre, le Gresec-qui porte le projet. S’inscrivant dans la politique scientifique interdisciplinaire des projets Peps, le projet Cybele vise à analyser les modes de sélection des données scientifiques visuelles produites par les SU. L’objectif est d’améliorer la communication des avancées scientifiques produites par les SU, d’appréhender dans quelle mesure elles sont transmissibles par le biais des images et, de cette façon, aller vers la valorisation de ce patrimoine visuel pour en améliorer l’exploitation par les scientifiques et l’appropriation par le public.

2Partant du constat que, parmi l’ensemble des disciplines scientifiques, les SU bénéficient de la plus importante exposition dans les médias audiovisuels (notre étude montre qu’elles représentent 18 % des sujets scientifiques traités dans les JT de 20 h de France 2 en 20131) et, fort des récentes recherches menées en SIC sur la diffusion des images, le projet Cybele ambitionne de modéliser le processus de traitement des images issues des SU en se concentrant sur les critères implicites et explicites de sélection des données visuelles lors des différentes étapes de leur traitement documentaire. Ceci afin de proposer des indicateurs communs pour anticiper les modes de communication et intégrer ces éléments dans les pratiques de gestion de données par les chercheurs en SU.

3Dès lors, l’objectif du projet Cybele est l’émergence d’une problématique de recherche entre les SU et les SIC autour d’un objet commun : les images scientifiques et techniques, à partir de deux axes de réflexions liés :

  • l’étude de la gestion documentaire des objets visuels issus des technologies récentes utilisées par les SU et la confrontation des concepts des deux disciplines autour du statut de l’image scientifique ;

  • l’analyse des modes de circulation, de valorisation et d’appropriation de « l’image » par la communauté scientifique et par le grand public, à partir de trois objets : les aurores polaires, les comètes et les exoplanètes.

4En effet, la diffusion au public d’une image produite par les SU est l’aboutissement d’un long processus de sélection (au niveau de l’outil de captation, au niveau du chercheur, au niveau des outils de gestion documentaire, au niveau du média…). Si les critères scientifiques devraient être essentiels, notre étude montre qu’ils sont également d’ordre technique et documentaire. C’est pourquoi, la question de l’archivage et de la mise à disposition des fonds est centrale. Nous constatons qu’en fonction de leur origine, ces images sont stockées sous différentes formes (classiquement jpg, tiff, mais également sous forme textuelle ascii, etc.) en vue d’être réutilisées et partagées à plus ou moins grande échelle. La question de leur hétérogénéité de format, source, finalité, qui fait aussi leur richesse, est d’autant plus prégnante que, dans les SU, les outils d’analyse des données évoluent rapidement. Un ensemble de données inexploitables actuellement peut révéler des informations pertinentes dans le futur, si et seulement si, les chercheurs les retrouvent dans leurs bases de données.

5D’autant plus que les chercheurs en SU stockent souvent leurs images sur des disques durs personnels. Seules certaines sont mises en commun dans des bases de données métier (ex. : GhoSST2). Ce patrimoine hétérogène est épars, ce qui rend cette matière particulièrement complexe à gérer. Ainsi, dans de nombreuses organisations, l’immatérialisation rapide du travail a eu pour effet de voir fleurir de nombreuses applications détournant le système d’information officiel. Venant d’initiatives isolées, elles se sont agrégées autour du système central de manière connexe mais non reliée, souvent au détriment d’une certaine cohérence.

6À ce stade de nos recherches, les critères de typologie, sélection et de description mis en avant par les gestionnaires de fonds d’images scientifiques (documentalistes, chargés de communication d’observatoire, chercheurs en SU…) sont déclaratifs et il conviendra de les confronter avec les pratiques réelles. Surtout, ce travail nous a permis de pointer que les instituts de gestion d’images scientifiques peinent à accéder aux images produites dans les laboratoires. Leurs fonds sont le plus souvent constitués à partir d’images identifiées dans des communiqués de presse des laboratoires et/ou à partir de leur propre tournage sur place. Par ailleurs, lorsque les chercheurs déposent leurs images dans des services spécialisés, ils le font par lots, souvent très conséquents, posant ainsi le problème du temps de gestion de ces fonds et de l’identification des éléments présents sur les images.

7Ces difficultés liées au traitement documentaire ont des répercussions sur le réemploi de ces fonds visuels, pour les scientifiques eux-mêmes mais également pour les acteurs médiatiques.

8Le second volet de notre étude porte sur la résonance médiatique des phénomènes spatiaux que nous avons sélectionnés : aurores polaires, comètes et exoplanètes. Nous comparons leur importance médiatique (nombre de sujets, temps d’exposition médiatique…) avec l’importance scientifique de ces événements. Cette analyse permet de définir des critères de comparaison entre les deux disciplines scientifiques. Les événements astronomiques majeurs pour le champ scientifique sont-ils les mêmes que pour les médias ?

9Ces trois objets d’étude nous permettent de prendre en compte des phénomènes de plus en plus éloignés de notre planète et, lié à cet éloignement, des techniques d’imagerie directe qui fournissent de moins en moins de visuels. Nous étudions la présence de ces trois objets dans les productions médiatiques à partir de trois corpus de base : les aurores polaires sont interrogées en fonction de leur présence sur le web et en particulier sur la plateforme de partage vidéo Youtube (2013-2014), les comètes sont questionnées principalement à partir de leur place dans les journaux télévisés et nous focalisons notre étude sur la mission Rosetta dans laquelle l’IPAG est impliqué (2002-2014) et les exoplanètes sont étudiées via leur mis en scène dans la presse magazine et en particulier dans Sciences & Vie (1991-2014).

10Les principaux résultats obtenus sont méthodologiques par le croisement des approches des deux disciplines. La notion de « vérité terrain » utilisée par SU est intégrée aux outils méthodologiques (sémiologiques) des SIC. Cette approche permet de re-questionner le statut de l’image dans la sphère scientifique, mais aussi, et surtout, médiatique ; car l’étude a montré que les images produites sont presque toujours retouchées sans que cela ne soit systématiquement signalé aux instances les utilisant par la suite (cellules de communication des laboratoires, services d’archives scientifiques, médias, etc.). Si la modification d’une image pour mettre en valeur l’aspect étudié ou pour réduire des éléments entrainant du bruit a un intérêt scientifique compréhensible, la diffusion de ces images peut véhiculer des représentations erronées pour les non spécialistes (exemple fallacieux du modèle « boule de neige » pour les comètes)

11Finalement, ces questionnements nous ont permis de reformuler nos hypothèses de départ sur le traitement documentaire et de pointer des impensés de la chaîne documentaire des images des SU, en vue d’une exploitation scientifique ultérieure et médiatique. De cela découle une modélisation des différentes étapes de ce traitement que nous testerons dans le cadre de la refonte de la base GhoSST et de la mise en place prochaine de la photothèque de l’OSUG.

12Conjointement aux études par les membres de Cybele, qui feront l’objet de publications en 2015 et en 2016, ce projet a impliqué des étudiants de Master audiovisuel et de Master écriture multimédia dans la réalisation d’un web-documentaire sur les questionnements liés à ce projet. Cette production sera disponible en ligne en avril 20153. Cette plateforme sera également utilisée pour diffuser les interventions réalisées lors de la journée d’études « Cybele » qui fut organisée les 20 et 21 novembre 2014.

13Au terme de ces premiers mois de travaux communs, il est maintenant clair pour nous que l’apport de leurs regards croisés sur leurs pratiques de structuration de l’information par les deux disciplines constitue le point central de ce travail de recherche exploratoire. Les SU bénéficient de l’expertise des SIC pour leur traitement des documents visuels. Les SIC appréhendent ce terrain sémiotique qui échappe, de par sa nouveauté, à leurs concepts opératoires actuels. De ce fait, cette collaboration est particulièrement fertile et la confrontation de ces deux disciplines oblige, par de nombreux aspects, à repenser la place de l’image scientifique dans la recherche et dans la société et, donc, impacter les méthodologies de travail de ces deux champs disciplinaires.

Notes

1 Étude réalisée à partir des bases de données de l’INA. La robotique se place deuxième avec 14 % des sujets scientifiques du JT de 20 h de France 2 en 2013 et la biologie/médecine se place troisième avec 8 %.

2 Base de données regroupant les données expérimentales et spectrales de solides d’intérêt planétologique et astrophysique produites à l’IPAG, http://ghosst.osug.fr/.

3 Site web du projet Cybele (Web-documentaire « Cybele ») : http://cybele.gresec.fr (disponible en avril 2015).

Pour citer ce document

Jean-Stéphane Carnel, «Information, communication et images d’astrophysique : le projet Cybele», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 11-Varia, DOSSIER,mis à jour le : 17/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=547.