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HOMMAGE

Anne-Marie Laulan

Jean Devèze

Article

Texte intégral

1Quelles images subsistent-elles dix ans après sa disparition ?

2Je garde en mémoire celle sur son lit de mort, le visage un peu de côté, avec un petit sourire tendre et ironique esquissé sur son visage détendu.

3En ces fêtes pascales me reviennent nos discussions » d’homme à homme » sur la mort qu’il avait frôlée à plusieurs reprises (traité en grande urgence dans la cour de l’hôpital Cochin). Il ne manifestait aucune crainte, aucune croyance en l’au-delà. Mais par contre se désolait, (en période de rentrée universitaire) de ne pouvoir faire soutenir les mémoires de maîtrises aux étudiants dont il avait la charge.

4Donc une haute conscience professionnelle, mais pas reliée à un sentiment religieux. Nos conversations ont débuté en 1969 lors d’une Rencontre Audio visuelle à l’instigation de la Ligue de l’Enseignement à Nantes. Tous deux étions passés par la JEC (comme plusieurs collègues en communication de cette génération). C’est là que nous avions puisé le goût de l’engagement citoyen, le rôle de la communication pour ce faire. Jean était déjà assistant (venu de la chimie physique) et Mai 68 aidant il fut appelé très tôt à créer un département audiovisuel à Paris 7, sous la directive du Président Alliot ; nous avons connu la construction du campus de Jussieu, nous nous réunissions à la Villette (au milieu des baraquements) pour préparer les États généraux de la Recherche voulus par J.-P. Chevènement.

5Je n’ai su qu’à ses obsèques son appartenance déjà ancienne, dans la Maçonnerie où il avait le grade de « vénérable ». En 1974 à Liège, toujours autour de l’audio visuel, Jean faisait l’objet de railleries amicales tant il était entouré de « Claudettes ». Il aura fallu des décennies pour comprendre que ces jeunes femmes faisaient l’objet de sa protection « fraternelle ». Son engagement militant (passeur pendant la guerre d’Algérie) s’est poursuivi par des années syndicalistes au CNU. On lui doit aussi dès 1972, avec une collègue sociologue, d’avoir créé l’« Association pour donner aux sciences humaines et sociales la place qu’elles méritent » qui deviendra ensuite la SFSIC en 1974, appuyée par Robert Escarpit, structurée par Jean Meyriat. On connaît la suite… L’université du Havre conserve le souvenir du « frère humaniste » très actif qu’il fut jusque et au-delà de son activité d’enseignant.

6La dernière trace écrite de sa main dont je dispose est une carte de Nouvel An pour 1995 avec la reproduction d’un Gauguin aux somptueuses couleurs et des remerciements pour une photo de portrait de St Sébastien trouvée à Lisbonne « L’as-tu remarqué, il est percé à droite par un archer, et à gauche par un arbalétrier, association de deux armes, rares dans cette iconographie ». Tout Jean Devèze est là : observateur, tourmenté, jouissant de la beauté, poignant d une générosité sans faille. Son culte de Saint Sébastien révèle bien les multiples facettes d’un scientifique secret autant que loquace : énigmatique ! La célébration actuelle de la complexité et l’éloge de l’indiscipline viennent à point nommé pour rendre hommage à ce précurseur-fondateur des SIC, injustement incompris de son temps.

7Pâques 2014.

Pour citer ce document

Anne-Marie Laulan, «Jean Devèze», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 10-Varia, HOMMAGE,mis à jour le : 20/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=578.