Aller la navigation | Aller au contenu

> Axe 4

Nicolas Pélissier

Journalisme et DISTIC : un choc des dispositifs ?

Article

Texte intégral

1Considéré comme un dispositif éprouvé et influent (voir contribution introductive de Jacques Araszkiewiez), le journalisme doit composer de nos jours avec des DISTIC qui enrichissent ses pratiques, mais qui déstabilisent aussi son identité et ses savoir-faire acquis au fil des générations.

2Partant d’un constat critique formulé au moment de la constitution d’i3M et portant sur la difficulté des organisations médiatiques à faire émerger un nouveau paradigme en matière de stratégie de diffusion, d’écriture de l’information et de travail journalistique au quotidien (Pélissier, 2003 ; Boszkowski, 2004), nous avons choisi d’explorer les mutations du journalisme sur ses marges, voire à l’extérieur de ses frontières.

3Dans un premier temps, notre intérêt pour l’autopublication Web, qui a débouché sur un double numéro de la revue Réseaux (Cardon et alii, 2006), est issu d’une comparaison entre les sites de presse en ligne et les blogs traitant d’actualité. Nous avons montré alors que ces derniers développaient des pratiques éditoriales bien plus hypertextuelles, multimodales, interactives et innovantes que celles des médias de référence. Prenant acte, ces derniers ont réagi de façon très contradictoire : tout en accordant une faible crédibilité aux sources puisées dans la blogosphère, ils ont décidé peu à peu d’héberger et d’intégrer sur leurs sites officiels les blogs réalisés par leurs salariés, collaborateurs et lecteurs avisés. Ils ont ainsi réagi à cette soudaine concurrence périphérique par l’intégration de celle-ci, que d’aucuns assimilent à une tentative de récupération.

4Un constat similaire a été réalisé à propos des usages des plateformes collaboratives dites « citoyennes » à des fins journalistiques. Ainsi, les professionnels du journalisme ont préféré créer leurs propres structures éditoriales participatives (Rue89, Mediapart, Slate…) de façon à garder la main sur la production alternative réalisée par les amateurs : si le citoyen peut contribuer à la production d’informations d’actualité sur ces plateformes plébiscitées par les internautes, c’est de plus en plus sous le contrôle vigilant d’une profession souhaitant préserver sa fonction d’infomédiaire traditionnelle (Trédan, 2007 ; Pélissier et Chaudy, 2009).

5D’autant que cette production amateur, aux yeux des professionnels comme des apprentis journalistes, n’a pas la même légitimité et crédibilité que celle réalisée par les organisations labellisées. D’où la difficulté à évoquer le statut et les fonctions légitimes de cet « ordinaire du journalisme » (Ruellan, 2007) dans la formation professionnelle, comme nous l’avons constaté dans le programme de recherche international I3M intitulé « Tous journalistes ? » et financé par l’ISCC du CNRS en 2010-2011 (Amey et alii, 2013).

6Parallèlement, dans le cadre d’autres programmes I3M portant sur Google et Twitter, nous avons constaté cette même dynamique apparemment contradictoire de concurrence/réappropriation, tout en mettant en évidence la grande diversité des usages de ces DISTIC par les journalistes. Dans le cas de Google (Pélissier et Diallo, 2009)  : manque de recul des professionnels interrogés par rapport à un dispositif qui s’impose comme une évidence sous les apparences d’une fausse neutralité qui les conduit à privilégier les sources les plus notables ; dans le cas Twitter (Pélissier et Diallo, 2013), usages plus concentrés sur une minorité active, mais aussi plus diversifiés (veille, diffusion de scoops, promotion personnelle, affirmation corporative, etc.), dans une dimension plus réflexive de vigilance déontologique. En retour, ces usages variés font évoluer les pratiques, du « journalisme artificiel » promu par Google Inc., au journalisme « ambiant » et décentralisé favorisé par Twitter.

7L’usager de l’information d’actualité sort-il gagnant de cet entrecroisement de dispositifs de plus en plus complexes ? Les travaux de Franck Rebillard, Nikos Smyrnaios et du chercheur I3M Emmanuel Marty sur le pluralisme de l’information en ligne montrent plutôt des phénomènes de redondance et recyclage liés aux modes de traitement des données dans le cyberespace (Rebillard et alii, 2012).

8D’où l’importance de la formation professionnelle d’un journaliste se devant d’être de plus en plus averti et préparé par rapport à ces transformations dont il pourrait être l’un des principaux agents… à la condition de reconsidérer activement sa place dans les économies convergentes de l’information, de la création et de la connaissance.

Bibliographie

AMEY P., LAZAR M., PELISSIER N., et alii (2013), « Schools of Journalism Facing Participative Web », Journal of Applied Journalism and Media Studies, Vol. 2, (2), p. 355-370.

BOSZKOWSKI P. (2004), Digitizing the News, Cambridge, MIT Press.

CARDON D. et alii (2006), “Autopublications”/“Les Blogs”, Réseaux, 137/138.

PELISSIER N. (2003), « Un cyberjournalisme qui se cherche », Hermès, p. 99-108.

PELISSIER N., CHAUDY S. (2009), « Le journalisme participatif et citoyen en ligne : un populisme dans l’air du temps ? », Quaderni, 70, p. 89-102.

PELISSIER N., DIALLO M. (2009), « Les sources numériques des journalistes et le rôle moteur de Google », Communication, Vol. 27 (2), p. 253-261.

PELISSIER N., DIALLO M. (2013), « Le journalisme est-il soluble dans Twitter ? », in PELISSIER N., GALLEZOT G. (2013), Twitter, un monde en tout petit ?, Paris, L’Harmattan, p. 163-178.

REBILLARD F. (Direction) (2012), « Internet et pluralisme de l’information », Réseaux, 167.

TREDAN O. (2007), « Le journalisme citoyen en ligne : un public réifié », Hermès, 47, p. 115-122.

Pour citer ce document

Nicolas Pélissier, «Journalisme et DISTIC : un choc des dispositifs ?», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 10-Varia, DOSSIER, > Axe 4,mis à jour le : 20/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=661.

Quelques mots à propos de : Nicolas Pélissier

UNSA, pelissier06@gmail.com