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QUESTIONS DE RECHERCHE

David Douyère

La recherche en SIC sur le sacre et le religieux

Article

Texte intégral

1La mobilisation de la communication par les religions – qui sans doute n’existent que par celle-ci – est patente ces derniers mois, quand une vidéo caricaturale incite à des représailles saintes, que la prière chrétienne s’exhibe dans les rues pour imposer la prétendue naturalité du mariage hétérosexuel, que les chaînes d’information internationales évoquent une fillette qui aurait déchiré une page d’un livre saint, qu’un nouveau pape catholique, qu’un geste ou un mot suffisent à dire « simple », entre au Vatican… La communication publique religieuse change aussi de forme, jouant de la provocation et du côté décalé (figure de Frigide Barjot), ou, s’appropriant les Tic : sur l’internet les blogs et les portails d’information se développent, autant que la présence sur les applications dites de réseaux sociaux numériques, tandis que la presse se montre attentive aux religieux présent sur l’internet (des tweets du pape aux communautés religieuses présentes en ligne), voyant là un paradoxe, entre tradition et modernité. Le religieux se re-saisit donc de la communication, et réciproquement.

2Si la sociologie et l’anthropologie, l’histoire et les sciences politiques ont su aborder le religieux, les sciences de l’information et de la communication, en France, commencent à aborder de nouveau ces sujets, qui demandent des connaissances spécifiques (rites, signes, théologies, pratiques…), et, certainement, d’entrer quelque peu dans la « logique » de représentations du monde (foi, spiritualité et croyances) qui ne se confondent pas toujours avec la supposée construction rationaliste académique. La recherche dans ce domaine peut paraître aborder des questions très éloignées de la réalité (et sembler dès lors inutile, passéiste ou dérisoire), ou touchant à des formes traditionnelles de structuration sociale, alors qu’elle porte sur des questions qui sont en réalité très présentes dans la réalité sociale contemporaine et la construction ou la mise en visibilité médiatiques. Les phénomènes religieux croisent qui plus est l’ensemble des actions communicationnelles, du port d’un signe ou d’un vêtement à la publication de posts sur Tweeter ou Facebook. Ils touchent à des fondamentaux de la vie humaine, l’alliance conjugale ou amoureuse, la mort, la souffrance, sur lesquels ils viennent apporter des récits, des raisons, et communiquer – qu’ils métamorphosent, donc. Les aborder, et déjà les identifier en recherche, c’est relier la communication tant à l’humanité expressive qu’à la contemporanéité sociale et politique.

3S’il y a une histoire et un surgissement progressif des questions analysées et étudiées en sciences de l’information et de la communication, alors la question de la dimension communicationnelle du religieux apparaît sans doute tard. Toutefois, elle était présente parmi les travaux de précurseurs des Sic, comme Roland Barthes (la recherche sur les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola l’atteste). Si cette question a intéressé quelques chercheurs qui s’y sont consacrés, le plus souvent à côté de leur travail, comme Jean Devèze (avec la généalogie chrétienne de la notion de « communication sociale », ou une histoire de l’Église catholique comme organisation), Jacques Perriault (sur les sens médiévaux de la lumière, la projection lumineuse), ou de façon plus centrale dans leur recherche, notamment, Odile Riondet, Annie Lenoble-Bart, sur l’Afrique, le cinéma et la mission (2013), Corinne Abensour sur l’image (2001), la question de la dimension communicationnelle du religieux est restée un peu inexplorée par les Sic en France, soit qu’elle ait paru réglée rapidement par le qualificatif d’idéologique, soit que l’accent ait été porté ailleurs sur les techniques de communication, soit que l’on ait pu penser qu’étudier la presse religieuse suffisait, soit que son abord ait été compliqué du fait notamment qu’elle ne se pose pas directement comme communicationnelle, mais reçue d’une parole divine ou prophétique. Elle est abordée néanmoins par Bernard Miège dans La Société conquise par la communication (1989), étudiée par Daniel Bougnoux dans plusieurs articles, et notamment dans son recueil Sciences de l’information et de la communication (1993), analysée par Roger Bautier dans De la rhétorique à la communication (1994), et, bien entendu, abordée de façon majeure par Régis Debray (Critique de la raison politique ou l’inconscient religieux, 1981 ; Cours de médiologie générale, 1991 ; Transmettre, 1997 ; Croire, voir, faire, 1999 ; Jeunesse du sacré, 2012) et les médiologues, qui cependant, l’ont un peu emportée avec eux dans une scission toute religieuse avec les Sic. La question de la religion a donc été abordée, en Sic, par les schismatiques… Donc à la fois traitée, et intraitable : peut-être ce travail novateur et radical est-il d’ailleurs la cause du fait que cette question a été peu abordée ensuite en Sic ? Régis Debray est parti avec le suaire. Que faire, donc, ensuite ? Reprendre, recommencer. Un peu différemment, mais en mesurant l’apport.

4Aujourd’hui et depuis quelques années, plusieurs chercheurs et équipes travaillent discrètement, en France, sur ces questions. S’ils ne dialoguent pas forcément entre eux, il semble qu’écrire ces positions peut aider à comprendre qu’un champ d’échange et de réflexion possiblement constituable existe. Essayons d’en proposer une carte indicative. Des choses certainement nous sont inconnues, et nous nous en excusons, tout comme du risque de trahir quelque peu ces approches en nous efforçant de les résumer en quelques lignes.

Des axes de recherche différenciés

5On peut distinguer aujourd’hui, nous semble-t-il, huit approches principales du religieux en Sic en France : 1) l’approche sémiotique du sacré, développée à Dijon (Université de Bourgogne, Ciméos/3S) ; 2) l’approche du « symbolique », développée à Toulouse et à Montpellier (Iarsic) ; 3) l’approche anthropologique du rite, développée à Dijon (Ciméos/3S) et à Nice (I3M) ; 4) l’approche du lien entre la communication, le religieux, et l’anthropologie, mais aussi de la spiritualité et de la théologie chrétienne face à l’espace public, développée à Lyon (Odile Riondet) ; 5) l’étude historique des techniques de communication visuelle mobilisées par les religions, et notamment par le christianisme (Jacques Perriault, ISCC) ; 6) l’approche des structures, de la sociologie et de l’histoire des groupes religieux (Jean-Pierre Bacot ; Denis Maréchal, Cécile Méadel et Isabelle Veyrat-Masson) ; 7) l’étude de la visibilité médiatique des phénomènes de croyance et de prière (F. Lambert, Carism) ; 8) l’approche des pratiques et des théorisations communicationnelles du religieux (David Douyère, Labsic). D’autres approches ponctuelles existent naturellement, comme le travail mené depuis plusieurs années par Agnès Bernard, sur le pèlerinage et les vierges noires (2011, 2013), à Clermont-Ferrand (Communication et solidarité), celui mené par Yves Chevalier (Prefics), par Stéphane Caro (Mica), à Bordeaux, ou ce que peuvent apporter les travaux de plusieurs doctorants dont les thèses sont en cours. Après un rapide panorama de ces huit approches, forcément lacunaire et simplificateur, ce dont on voudra bien encore une fois nous excuser, en considérant la difficulté de la constitution d’une telle cartographie, suivi, pour chacune, de quelques éléments de discussion, nous évoquerons l’exigence épistémologique spécifique de ce champ de recherche, avant de présenter le réseau de recherche « Relicom », Communication et espaces du religieux.

1. Polymorphie du sacré

6L’approche sémio-anthropologique du sacré développée à l’Université de Bourgogne (Ciméos/3S) à Dijon s’inscrit notamment dans un regard sémiotique porté sur le sensible. Le sacré, entendu dans un sens très large, applicable aussi bien à une boutique Apple (Lardellier, 2013) ou Séphora qu’à une église, ou au champagne, ou à la table, est perçu dans sa production sémiotique qui crée un mode d’existence particulier, qui sépare autant qu’il attire. Le travail de Jean-Jacques Boutaud est ici fondateur. Ces travaux se sont intéressés à la sémiologie communicationnelle des formes et supports de l’Église catholique et à la requalification culturelle du religieux (Stéphane Dufour, 2003), mais aussi à l’étude des figurations du sacré en entreprise (Pascal Lardellier, Richard Delaye, 2012). Cette approche, approfondie récemment par Stéphane Dufour (2013, avec Boutaud), entend s’appuyer sur une anthropologie du sacré, qui renvoie à Julien Ries (2007), Rudolf Otto (1917) et Mircea Eliade, pour, faisant du sacré quelque chose de transversal à l’expérience humaine, en analyser les formes communicationnelles dans une perspective sémiologique, et parfois sociale (Lardellier, 2002). La continuité des formes sémiologiques sacrales est ici posée. Un dossier de la revue Questions de communication (n° 23, coordonné par Stéphane Dufour et Jean-Jacques Boutaud) consacré aux « Figures du sacré » est paru en 2013 dans cette perspective. On pourrait reprocher à ce courant de s’intéresser au sacré mais pas à la sacralisation, dans une perspective critique, en tant que processus instituant pourvu d’une fonction sociale et politique, ou de ne pas saisir la spécificité religieuse (dont il convient à ses yeux d’extraire le sacré), et de se tenir à l’écart du social, mais là n’est pas, précisément son choix de recherche.

2. Déclinaisons du symbolique

7L’approche du symbolique développée à Toulouse (Lerass) et Montpellier (Iarsic), mais aussi à Nice (I3M), entend là aussi ouvrir une perspective plus large qui inclut le religieux sans s’y réduire, bien que ce dernier ait donné naissance à ce courant, par les travaux fondateurs mais relativement méconnus de Stefan Bratosin sur les hymnes adventistes roumaines (La Nouthésie par la poésie, médiations des croyances chrétiennes, 2004), et notamment sur la notion de « nouthésie ». Par ce « placer dans l’esprit » évoqué par Paul de Tarse (dit saint Paul), Stefan Bratosin entend une pratique d’imprégnation spirituelle dans laquelle un dispositif communicationnel (l’hymne, le chant) joue un rôle central. Il a étendu son approche du symbolique, fondée notamment sur la philosophie des formes symboliques d’Ernst Cassirer (1875-1945), à d’autres domaines, et ouvert un champ de recherche qui travaille aujourd’hui sur l’internet et le religieux (Mihaela Tudor, S. Bratosin, 2010), la franc-maçonnerie comme système de formes symboliques à ancrage corporel ritualisé (Céline Bryon-Portet, 2010), l’organisation (Claudine Batazzi, 2013) notamment. Cette approche du symbolique, qui appelle une herméneutique, conduit ces chercheurs à élaborer parallèlement une épistémologie de la communication (Tudor ; Bratosin, Bryon-Portet, Tudor, 2012) ce qui est significatif de la portée de ces questions, et de ce à quoi mène l’étude du religieux – i.e. à redéfinir la communication. Un numéro de la revue Essachess (2011), un colloque organisé par ces trois chercheurs, Communication du symbolique et symbolique de la communication dans les sociétés modernes et postmodernes (actes coordonnés par S. Bratosin et M.A. Tudor, Institutul European, Roumanie, 2013), ont été consacrés à ces questions. Dans ces approches du symbolique, les religions ont un statut marginal, et les enjeux sociaux se trouvent quelque peu écartés.

3. Présence structurante du rite

8L’approche du rite développée par Pascal Lardellier (Ciméos/3S, Université de Bourgogne, Dijon) et Claudine Battazi (I3M, Université de Nice Sophia Antipolis), notamment, est une forme d’investigation du symbolique en acte, qui s’intéresse à une dimension transversale de la production du sacré, notamment en lien avec le politique, dans une perspective historique ou contemporaine. Le rite, pensé comme une réalité anthropologique, est perçu comme reliant et ouvrant, entre communauté et dépassement de l’horizontalité sociale. Il est investigué notamment dans sa dimension organisationnelle (Lardellier, Delaye, 2012 ; Batazzi, 2013), comme signe et constituant du sacré. Le travail mené par Céline Bryon-Portet (2011, 2013), à Toulouse, interroge également la récurrence et la signification du rite dans diverses organisations (armée de l’air, et surtout franc-maçonnerie, qu’elle a, la première, investiguée de façon communicationnelle). Ces travaux mettent l’accent sur des formes communicationnelles parfois négligées. Si la religion n’est pas l’objet central de ces approches, qui portent sur des formes laïques, elles peuvent en retour servir à éclairer le religieux.

4. Anthropologie, spiritualité et théologie chrétienne dans l’espace public

9L’approche développée par Odile Riondet (Ciméos/3S) du lien entre la communication, le religieux et l’anthropologie, a conduit cette chercheuse pionnière en Sic sur ces questions à étudier aussi bien l’anthropologie qui lui paraît sous-jacente à la doctrine sociale de l’Église catholique que la dimension religieuse du communicationnel (« La célébration communicationnelle », 2008), et inversement, à s’intéresser à la signification et la portée pour l’action des hymnes chrétiennes (in Lardellier, Delaye, 2012), ainsi qu’aux conceptions de la place du religieux dans l’espace public, notamment en étudiant Habermas et en le confrontant à des théologiens chrétiens. Il s’agit pour cette approche, nourrie de théologie, de dépasser le clivage religieux/laïc, de l’intérieur, et de confronter les Sic à leur anthropologie sous-jacente, en montrant que l’anthropologie chrétienne, qui s’est trouvée renouvelée, a son existence et sa valeur propre, au titre notamment des « contenus cognitifs non taris » qu’évoque le dernier Habermas à propos des religions. Le religieux est pris ici en considération en tant que tel, par des travaux qui portent essentiellement sur le christianisme, et auxquels s’associe, là aussi, une forte réflexion épistémologique. Les terrains de croyance et les représentations médiatiques ne sont pas tant pris en considération ici que les élaborations théoriques, entre Sic, philosophie et théologie chrétienne.

5. Arts et techniques de communication visuelle d’une religion

10L’approche de Jacques Perriault (ISCC) des techniques de communication développées par des religieux chrétiens, mobilisant l’image et le son, déjà ancienne, se poursuit et se prolonge. Il a notamment insisté, dans de nombreux travaux consacrés à ces questions (depuis Mémoires de l’ombre et du son : une archéologie de l’audiovisuel, 1981), sur le rôle de la projection d’images animées (lanterne magique) développée par le jésuite Athanase Kircher (1602-1680) et sur l’archéo-cinéma jésuite, mobilisation du visuel dynamique comme soutien à la prédication, et s’intéresse, plus largement, à la conception et à la mobilisation de dispositifs techniques dans une perspective communicationnelle. En lien avec ces pratiques pensées, il a analysé notamment les conceptions théologiques de la lumière (« Lux & Lumen », 2000) en lien avec l’image et l’espace de l’église chrétienne. La technique est ici reliée au théologique, et inversement, et la créativité technologique du religieux soulignée. Les pratiques sociales ne sont pas, en tant que telles, investiguées ; l’approche historique des conceptions de la technique est privilégiée.

6. Structures religieuses : sociologie et histoire

11Le travail de Jean-Pierre Bacot (Labsic, Université Paris 13) vise notamment à tracer une carte historique des mouvements religieux ou parareligeux, et à mesurer leur apport social et politique, à suivre leur régression ou leur progrès. Initialement – pour ce qui relève du champ ici considéré – consacrée aux sociétés fraternelles (2007), cette recherche s’est élargie à la place du religieux dans les relations internationales (France-Québec), à l’étude de l’histoire de la franc-maçonnerie, notamment quant à la place des femmes au sein de cet ordre, puis au déclin numérique du christianisme et des religions en Europe (Une Europe sans religion dans un monde religieux, 2013). L’approche est ici plus historique et sociologique, quantitative et chiffrée, que communicationnelle, sauf quand les médias (les magazines, par exemple) sont étudiés dans la perspective que les conceptions théologiques donnent ou non à la mobilisation de l’image, dans le prolongement d’une recherche menée initialement sur Édouard Charton (1807-1890) et la presse illustrée (2005).

12D’une façon un peu différente, le numéro 17 (2011) de la revue Le Temps des médias, dirigé par Denis Maréchal, Cécile Méadel et Isabelle Veyrat-Masson, et consacré au thème « Communiquer le sacré » s’inscrit dans cette perspective d’une analyse historique des productions ou des théorisations communicationnelles religieuses. Ce numéro réunit les travaux de plusieurs chercheurs en Sic (Julie Deramond, Agnès Bernard, Benoît Lafon, David Douyère).

7. Croyance et visibilité médiatique de la prière

13Le travail mené par Frédéric Lambert (Carism, IFP, Université Paris 2), venu de la sémiologie de l’image et des médias, s’intéresse à la fois à la catégorie anthropologique de la croyance – perçue comme un « je sais bien mais quand même… », déni et irréalité provisoirement consentie – et à ses enjeux communicationnels (Je sais bien mais quand même, essai pour une sémiotique des images et de la croyance, éditions Non Standard, 2013), qu’à la représentation médiatique de la prière et du recueillement des communautés de croyance, ainsi qu’à leur sens politique et social (Prières et Propagandes : études sur la prière dans les arènes publiques, suivi du livre I de La Prière de Marcel Mauss, dir., 2013, à paraître). Il poursuit une interrogation des formes du religieux diluées dans l’espace public, qu’il traite dans leur dimension sémio-communicationnelle, y compris dans ses formes les plus triviales, comme lorsqu’il étudie, avec Katharina Niemeyer (Carism), les circulations médiatiques et détournements ludiques du Christ de Borja (cette œuvre d’Elias Garcia Martinez mal restaurée par une octogénaire dans une église espagnole en 2012) dans les réseaux socio-numériques (2014, à paraître). Cette approche saisit le religieux dans sa dimension communicationnelle dans le contemporain, sans le couper de ses dimensions sociales et politiques, mais sans considérer les religions en elles-mêmes, ou le théologique qui les anime, à distance desquels elle se tient.

8. Pratiques et théorisations communicationnelles du christianisme

14L’approche que je développe pour ma part (Labsic, Université Paris 13) s’intéresse aux supports, aux pratiques et aux théorisations communicationnelles effectuées par le christianisme catholique. Il s’agit de penser, par une approche compréhensive et de restitution des « croyances » et investissements sémantiques possibles, dans une démarche d’analyse de documents, de théories, mais aussi par des études de terrain, la démarche de communication chrétienne catholique. Cette recherche m’a conduit à travailler sur la « prière assistée par ordinateur » proposée par des powerpoints chrétiens (2011), sur les images de piété numérique, sur le dialogue mystique de sainte Catherine de Sienne avec Dieu (2012), autant que sur l’élaboration théorique de Thomas d’Aquin à propos du langage des anges, sur les théorisations de la communication présentes dans la notion de « communication sociale » (Inter mirifica, 1963, concile Vatican II) ou dans la théologie de l’Incarnation (2013), ou sur les théologies de la communication de l’ancien rédacteur en chef de La Croix Émile Gabel (1908-1968) et du théologien brésilien (et historien de la communication chrétienne) dominicain Carlos Josaphat Pinto de Oliveira (à paraître, 2014)… Il s’agit de montrer, par conjonction de recherches, comment le christianisme catholique a mobilisé la communication, se constituant de celle-ci. Cette approche s’intéresse aussi à la reprise artistique et sociale d’une iconographie et d’une spiritualité chrétienne, par exemple celle effectuée par le Piss Christ d’Andres Serrano (1987), cette œuvre représentant un crucifix plongé dans l’urine, vandalisée en 2011 par des catholiques intégristes en Avignon (avec S. Dufour et G. Salatko ; 2014, à paraître). L’ensemble de cette recherche amène, comme c’est le cas pour d’autres chercheurs travaillant sur ces objets, à penser une épistémologie de la communication.

15Les travaux commencent donc à croître et à converger des collègues et des doctorants qui s’intéressent à ces questions, soit prenant le religieux directement pour objet (4, 6, 8), soit l’étudiant dans son reflet médiatique (7) ou dans sa dimension technique (5), soit le diluant, nous semble-t-il (1, 2, 3), volontairement et sciemment dans une perspective plus vaste (le symbolique, le sacré, le rite), plus académiquement acceptable aussi, en contexte de laïcité. Un problème de légitimité scientifique de la démarche comme de l’objet de recherche se pose en effet dans notre communauté scientifique, comme en sociologie des religions, malgré le travail effectué par l’Association française de sociologie des religions (AFSR), et notamment le Centre d’études interdisciplinaire des faits religieux (CEIFR), au sein du labex Hastec, et le Centre d’anthropologie religieuse européenne (Care) de l’EHESS, et alors même que cet objet a été fondateur pour ces disciplines.

Implication du chercheur et distance vis-à-vis de l’objet étudié

16Dans ce champ de recherche, l’objet porte immédiatement interrogation sur le chercheur. La suspicion d’appartenance (parfois réelle) à un courant religieux ou spirituel, la mise en question de la neutralité du chercheur sont en effet souvent de mise, et parfois tout à fait légitimement, mais empêchent de considérer pleinement ces travaux dans leur dimension de recherche. Il est vrai que la mobilisation des sciences humaines est aussi une des stratégies de légitimation du religieux. Peut-être une conception échaudée de la laïcité joue-t-elle ici un rôle de mise à distance…

17Si, comme tout chercheur, les chercheurs qui travaillent sur le religieux ont certainement une raison intime qui motive leur intérêt, et une forme de lien avec leur objet, passé ou actuel, il n’est peut-être pas celui qu’on croit (et peut-être moins investi, par exemple, que celui d’un chercheur qui travaille sur les réseaux socio-numériques ou le jeu vidéo, par exemple, et en est lui-même un adepte…). Il reste que la question de la clarté vis à vis des présupposés religieux (ou anti-religieux) est importante, et qu’une recherche scientifique de qualité en Sic ne peut, à notre sens, se constituer que si les chercheurs éclaircissent publiquement leur position à cet égard, et s’inscrivent dans une démarche réflexive et distanciée, ou s’efforcent de déjouer les implications qu’elle peut avoir sur leur recherche – ce qui n’est pas toujours le cas.

Le réseau Relicom

18Créé en 2010, le réseau de recherche « Relicom », Communication et espaces du religieux (http://relicom.jimdo.com, http://relicom.hypotheses.org), animé par Stéphane Dufour, Odile Riondet et moi-même, a pour but de permettre aux chercheurs d’échanger sur leurs perspectives de recherche, de partager leurs références et leurs interrogations, dans des perspectives de recherches très différents, qui traversent l’ensemble des champs, sur les dimensions communicationnelles du religieux. Une journée d’études a été organisée en 2012 à l’Université Paris 13, un séminaire (Paris, Lyon, Dijon), un numéro de la revue MEI (38, « Religion & communication », à paraître en 2014), un ouvrage, un colloque sont en préparation.

19Des travaux s’amorcent, en France, sur les Tic et les religions (Douyère, 2011 ; Bryon-Portet, 2012 ; Bratosin & Tudor, 2010). De nombreux travaux sont toutefois encore à mener, en Sic, sur les pratiques informationnelles et communicationnelles, dans le judaïsme, l’islam, le christianisme, les traditions bouddhistes, notamment. Les religions, que l’on avait pu croire reléguées dans un enchantement du monde désuet, réapparaissent en effet avec vigueur dans l’espace public et médiatique. Leurs théorisations de la communication et des médias, parfois anciennes, sont à étudier, ainsi que les formes qu’elles mettent en circulation, et qu’elles suscitent. Car il se pourrait que, dans le domaine communicationnel, les religions aient beaucoup d’avance, en ce qu’elles savent depuis longtemps, par la communication, instituer une forme de réalité qui acquiert une présence sociale structurante.

Bibliographie

Bryon-Portet, Céline, Coman, Mihai (dir.), Essachess, Journal for Communication Studies, 4, 2(8), 2011 : « La communication et le sacré ».

Douyère, David, « L’Incarnation comme communication, ou l’auto-communication de Dieu en régime chrétien », Questions de communication, n° 23, 2013, p. 31-55.

Dufour, Stéphane, Boutaud Jean-Jacques, « Extension du domaine du sacré », Questions de communication, n° 23, « Figures du sacré », 2013, p. 7-29.

Lambert, Frédéric (dir.), Prières et Propagandes. Études sur la prière dans les arènes publiques. Suivi du livre I de La Prière de Marcel Mauss, Paris, Éditions Hermann, 2013.

Maréchal, Denis, Méadel, Cécile, Veyrat-Masson, Isabelle (dir.), Le Temps des Médias, n° 17, 2011 : « Communiquer le sacré ».

Pour citer ce document

David Douyère, «La recherche en SIC sur le sacre et le religieux», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, QUESTIONS DE RECHERCHE,mis à jour le : 22/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=724.

Quelques mots à propos de : David Douyère

Université Paris 13, Labsic. Courriel : david.douyere@gmail.com