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Appropriation des médias sociaux par les chercheurs
Texte intégral
1L’expression « médias sociaux » recouvre aujourd’hui un ensemble large de sites internet, applications logicielles et fonctionnalités qui, s’appuyant sur les technologies du web 2.0 – ou ensemble de techniques innovantes qui permettent à chacun de devenir aussi bien producteur que consommateur d’information sur le web1 –, visent à favoriser les interactions sociales et les pratiques collaboratives sur Internet. La typologie proposée par F. Cavazza en 20132 distingue les médias sociaux de publication (blogs, wikis), de partage de contenus (textuels, audio, video, etc.), de discussion (forums, sites de questions/réponses) et de réseautage (publication, partage et suivi de profils et intérêts associés). Dans le champ scientifique, les médias sociaux sont susceptibles d’impacter la dimension communicationnelle pour chaque étape du cyle de la recherche. De nombreux guides d’utilisation incitatifs sont ainsi réalisés par les organismes de soutien à la recherche, des documentalistes, et des chercheurs à l’attention de leurs pairs3. Les panoramas critiques présentent également les principaux outils, mais interrogent sur les limites de l’offre et la réalité des usages (e.g. Boudry, 2012). Les enquêtes quantitatives de dimension internationale nuancent en ce sens le degré d’approriation des médias sociaux par les scientifiques (Rowlands et al., 2010 ; Procter et al., 2010 ; Ponte et al., 2011 ; JISC, 2012 ; Gruzd et al., 2013). Les très nombreux retours d’expérience ainsi que les études qualitatives menées sur l’utilisation d’un outil en particulier ou auprès de communautés disciplinaires (Harley, 2010) complètent ces données et permettent un premier bilan sur l’appropriation des médias sociaux par les chercheurs.
2Les principales enquêtes quantitatives sus-mentionnées sont difficiles à comparer car elles répondent de méthodologies diverses ou non explicites, couvrent des aires disciplinaires et géographiques différentes et une masse critique de répondants inégale. Toutes interrogent cependant sur une liste généraliste de médias sociaux resituée dans une gamme large d’outils numériques en regard des activités de recherche. Et malgré les disparités, elles s’accordent sur les principaux résultats. Aucune incidence n’est imputée à l’âge des répondants, mais les caractéristiques disciplinaires et d’état d’avancement dans la carrière sont impactantes, et des corrélations sont faites entre usage fréquent et implication dans des projets internationaux. La majorité des répondants aux enquêtes se disent cependant des utilisateurs occasionnels des médias sociaux, voire des non utilisateurs (e.g. 39 % de non utilisateurs et 45 % d’utilisateurs occasionnels dans Procter et al., 2010). L’utilisation d’internet par les scientifiques se fait principalement selon le modèle de l’utilisation grand public avec un usage massif du moteur de recherche Google et des systèmes de mémorisation des navigateurs. Viennent ensuite les outils de travail collaboratif en ligne, principalement les outils précurseurs que sont les listes de discussion, puis les outils de co-écriture en ligne (e.g. Google Document, wikis), de téléconférence (e.g. Skype) et de calendriers partagés (e.g. Google Calendar). On remarque ici que, mis à part les moteurs de recherche scientifique (e.g. Google Scholar) et de citation (e.g. Web of Science), l’offre de services numériques spécifiquement dédiés aux activités des chercheurs est relativement peu citée (e.g. les gestionnaires de références sont utilisés par 25,8 % des répondants dans Ponte et al., 2011). Enfin, avec moins d’un tiers d’utilisateurs en moyenne dans l’ensemble des enquêtes, les médias sociaux strictement dits sont notifiés dans un troisième par les répondants, qui se disent davantage consommateurs que producteurs d’information sur ces plateformes. Les plus cités sont les services de réseautage et de blogs, a contrario des plateformes de social bookmarking et de microblogging cités en dernier. Cela contraste, pour le microblogging, avec les nombreux retours d’expérience sur les apports de Twitter pour la dissémination des citations et leur impact4, la diffusion directe lors d’évènements scientifiques5, ou encore le reviewing post-publication – voire la ré-évaluation post-publication6. Les retours d’expérience et enquêtes qualitatives sur les usages des blogs relèvent également les apports positifs de ces outils pour la communication directe vers le grand public et les pairs, et la possibilité de créer de nouvelles connexions parmi ceux-ci7, mais des tensions possibles avec les contraintes institutionnelles et académiques sont par ailleurs soulignées8. Les pratiques des chercheurs sur réseaux socionumériques, dont le réseautage est justement la fonction première et une composante forte dans la recherche, n’ont pas encore fait l’objet d’études qualitatives à notre connaissance, alors même que l’offre foisonne et que les projets portés par des acteurs commerciaux et/ou institutionnels se multiplient (Bester, 2012). On remarque ici que les travaux sus-cités présentent surtout les services numériques et médias sociaux grands publics mais s’arrêtent peu sur la profusion de l’offre dédiée spécifiquement aux scientifiques, et qui semble davantage tenir d’enjeux marketing que d’attentes réelles (Stewart et al., 2013). Certaines études soulignent en ce sens que la confusion sur la nature des productions scientifiques et techniques en libre accès9 se trouve renforcée au regard des médias sociaux (Bester, 2014). Dans ce contexte, les professionnels de l’information sont appelés à se positionner sur des fonctions de formation, afin d’aider les chercheurs à monter en compétences pour appréhender cette pluralité de ressources et d’outils (Procter et al., 2010 ; Gruzd et al., 2013 ; Ponte et al., 2011).
3Dans l’ensemble, les études concluent qu’il n’y a pas de bouleversement dans la perception de la chaîne de valeur de la communication scientifique. Les freins techniques et culturels à l’utilisation des médias sociaux sont encore nombreux : crainte du partage i.e. du plagiat, manque de confiance dans la qualité de l’information disséminée, lenteur du réseau dans certains cas, manque de temps et de bénéfice direct pour la carrière, coût d’adoption en regard de la profusion, de l’instabilité et du manque d’interopérabilité des services, et manque de transparence sur leur gouvernance et leur modèle économique. Les canaux traditionnels d’évaluation et de diffusion des sciences, et d’identification de partenaires de recherche, ne sont pas remis en question (revues, monographies, conférences). Les médias sociaux ne sont pas envisagés par les chercheurs en remplacement de leurs propres outils mais en complément, notamment en regard des modalités de peer reviewing et des indicateurs d’usage des références (i.e. statistiques de consultation, de téléchargement sur les médias sociaux), perçus comme des services intéressants à terme mais non encore suffisamment fiables (Broudoux et al., 2009 ; Procter et al., 2010 ; Ponte et al., 2011).
Bibliographie
Boudry, C. « Biologie/médecine 2.0 » : État Des Lieux. médecine/sciences, 2012, vol. 28, n° 6/7, p. 653-658.
Broudoux E., Chartron G. La communication scientifique face au Web2.0 : premiers constats et analyse. In « 20 ans d’H2PTM (Hypertexte et hypermédia – Produits, Outils et Méthodes) : Rétrospective et Perspective ». H2PTM’09. Hermès/Lavoisier, Paris, 2009, p. 323-336.
Gruzd A., Goertzen M. Wired Academia : Why Social Science Scholars Are Using Social Media. In 46th Hawaii International Conference on System Sciences (HICSS), 2013, p. 3 332-3 341.
Harley D., Acord S. K., Earl-Novell S., Lawrence S., King C. J. Assessing the future landscape of scholarly communication : An exploration of faculty values and needs in seven disciplines. Center for Studies in Higher Education, UC Berkeley, 2010.
JISC. Researchers of Tomorrow. The Research Behaviour of Generation Y Doctoral Students. JISC, British Library, 2012. 88 p.
Ponte D., Simon J. Scholarly Communication 2.0 : Exploring Researchers’ Opinions on Web 2.0 for Scientific Knowledge Creation, Evaluation and Dissemination. Serials Review, 2011, vol. 37, n° 3, pp. 149–156.
Notes
1 O’Reilly, T. What is Web 2.0 ? Design patterns and business models for the next generation of software. 30 septembre 2005. http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html
2 Cavazza F. « Panorama des médias sociaux 2013 ». Blog mediasociaux.fr, 16 avril 2013, en ligne : http://www.mediassociaux.fr/2013/04/16/panorama-des-medias-sociaux-2013 (consulté le 30 août 2013)
3 e.g. Bik H. M., Goldstein M., C. An Introduction to Social Media for Scientists. PLoS Biol, 2013, vol. 11, no. 4, P. e1001535.
4 e.g. Terras, M. “The Impact of Social Media on the Dissemination of Research : Results of an Experiment.” Journal of Digital Humanities, 2012, vol. 1, n° 3.
5 e.g. Ross C., Terras M., Warwick C., Welsh A. Enabled backchannel : conference Twitter use by digital humanists. Journal of Documentation, 2011, vol. 67, n° 2, pp.214 – 237.
6 e.g. Gallezot G. Tweets & Science. In Pelissier N., Gallezot G. (dir.) Twitter un monde en tout petit. L’Harmattan, Paris, 2013, p. 233-240.
7 e.g. Kjellberg S. I am a blogging researcher : Motivations for blogging in a scholarly context. First Monday, 2010, vol. 15, n° 8.
8 e.g. Veletsianos, George, and Royce Kimmons. “Scholars and Faculty Members’ Lived Experiences in Online Social Networks.” The Internet and Higher Education 16 (January 2013) : 43–50. doi :10.1016/j.iheduc.2012.01.004.
9 Dillaerts H. Libre accès à la communication scientifique et contexte français : prospective, développement et enjeux pour la créativité et l’interdisciplinarité ? Paris, 2012. Thèse, Sciences de l’information et de la communication, CNAM, 434 p.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Emma Bester
CNAM, DICEN-Idf. Courriel : emma.bester@cnam.fr