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FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL

Valérie Lépine

Les formations en alternance : en réflexion et en pratiques dans le champ des sciences de l’information-communication

Article

Texte intégral

1Cette contribution rend compte des débats et réflexions partagés au cours d’une demi-journée d’échanges, organisée le 21 mars 2013 à Paris par la commission formation de la SFSIC, sur les formations en alternance en SIC. Deux représentants de CFA (M. Albinet et Mme Pécome), venus du centre de formation d’apprentis de Bagnolet ainsi qu’un peu plus d’une vingtaine de responsables de formation de tous niveaux (DUT, LP, L3, Master 1 & 2) ont échangé leurs expériences, leurs interrogations et dressé des perspectives de développement de programmes de formation en et par l’alternance.

2Les réflexions formulées dans cette journée sont partiellement reprises et synthétisées ici sous la plume de l’animatrice de cette journée mais elles sont, avant tout, le fruit des débats suscités par la participation des « porteurs d’expérience » qui sont intervenus (J.-J. Boutaud, I. Cousserand-Blin, D. Douyère, S. Parrini-Alemanno, M. Pelissier, A. Staii, MM. Venturini – pour ne citer que ceux-là) pour présenter les dispositifs pédagogiques et administratifs des formations dont ils ont la responsabilité.

3En préalable, il n’est pas inintéressant de resituer ces préoccupations dans les activités de la commission formation de la SFSIC. Il y a dix ans précisément, la société française des sciences de l’information et de la communication publiait dans sa Lettre inforcom N° 62 de février 2003 un ensemble de réflexions dressant l’état des lieux des formations professionnalisantes en SIC. Ce numéro faisait suite à une journée d’étude sur les liens entre formation et professionnalisation, organisée le 14 juin 2002 par la commission formation, alors animée par Michel Durampart.

4Le contexte du début des années 2000 est celui de la mise en œuvre du nouveau système européen du LMD (Licence-Master-Doctorat) ; il est aussi celui de la création des licences professionnelles et du renforcement des préoccupations autour de la professionnalisation des études universitaires. Se posaient alors des questions vives sur le devenir des niveaux intermédiaires (le DEUG, la maîtrise) mais aussi sur les évolutions des DUT, des IUP et des DESS. Dans le champ des SIC, la professionnalisation – en tout cas comme résultant de la réponse aux besoins des milieux professionnels – est, comme nous l’ont rappelé Jean Meyrat et Bernard Miège (Boure (éd.), 2002 : 45-70) à l’origine même de la discipline dès les années 60-70, notamment lors de la création des Diplômes Universitaires Technologiques en « Carrières de l’information ».

5Dans ce numéro de La lettre d’inforcom, Sylvie Bourdin rendait compte des enjeux d’articulation entre enseignements dits théoriques et expériences en entreprise notamment dans les formations professionnalisantes des IUP et DESS où les stages et périodes d’apprentissage en organisations sont des dispositifs centraux. Il est intéressant de noter que les débats évoquaient en premier lieu l’idée d’un « choc des cultures » universitaire et professionnelle, et un « syndrome de concrétude » témoignant de la difficulté à faire percevoir aux étudiants la nécessité d’une démarche critique et réflexive de théorisation des pratiques professionnelles réalisées dans le cadre de leur immersion dans l’organisme professionnel. Mais c’était pour rejeter dans un second temps cette opposition et souligner la fréquence des interactions et des coopérations entre entreprises souvent terrains de recherche et laboratoires, entre professionnels contribuant aux formations académiques et universitaires très impliqués dans les démarches de référentiel métiers ou des projets pédagogiques (suivi de stage, projet tuteuré, étude de cas) impliquant une forte intégration des dimensions pratiques et réflexives. La place des formations en SIC réellement dispensées en alternance, très minoritaires à cette période n’apparaît qu’en filigrane dans l’ensemble des débats d’alors. En 2010, selon les statistiques du MESR, le domaine de spécialité information-communication accueille un total de 15 234 apprentis (dont 5 426 dans les BTS – IUT ; 2 570 au niveau 2 - Licence et 3 505 au niveau 1 – Master). Cet effectif représente 3,6 % des apprentis tous domaines confondus.

6Au cours des années 2000-2010 la préoccupation politique de la professionnalisation des formations s’est fortement accentuée ; elle s’inscrit dans une trajectoire engagée depuis trois décennies. L’apprentissage entouré de connotations négatives (« petits métiers manuels », niveau faiblement qualifié) dans les années 60-80 a connu une première revalorisation sous l’impulsion de la loi « Seguin » de 1987 qui consacre l’apprentissage comme une véritable filière de formation professionnelle initiale y compris aux niveaux d’enseignement supérieur. Puis une nouvelle relance est impulsée par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Cette dernière vise notamment à la simplification des dispositifs d’accès à la formation des jeunes peu qualifiés et des chômeurs : les anciens contrats de qualification, d’adaptation et d’orientation sont remplacés par un contrat unique dit de professionnalisation. La régionalisation des centres d’apprentissage et les aides fiscales aux employeurs, successivement renforcées, vont aussi dans le sens d’une implication plus forte des différents acteurs de la formation professionnelle.

7En 2009, un dossier de l’INSEEE (« L’apprentissage, entre formation et insertion professionnelles », Dominique Abriac, Roland Rathelot, Ruby Sanchez – Formations et emploi, juin 2009) indique que le passage par une période d’apprentissage au cours de la formation est un facteur positivement corrélé avec l’accès à l’emploi et avec le niveau de salaire à l’embauche. Repris par le Président de la République lui-même, cet argument va être alimenté par différents rapports de mission : Rapport de la mission de J.F.Pillard « Promotion de l’accès des publics éloignés de l’emploi au contrat de professionnalisation » (mai 2009) ; rapport Laurent Hénart, ancien secrétaire d’état à l’insertion professionnelle, « Développer les formations en alternance dans le secteur public » (octobre 2009). La nouvelle majorité élue en 2012 reprend à son compte le projet de développement des voies de formation en alternance. La Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, affiche la volonté de former un étudiant sur six en alternance à l’horizon 2020.

8L’alternance apparaît dès lors comme une réponse à la plus forte vulnérabilité des jeunes à la crise économique, singulièrement en France où le chômage structurel des jeunes est déjà historiquement très important, malgré la hausse continue des qualifications et du nombre de diplômés du supérieur. Ces tendances sont confortées par une étude de l’APEC1 sur « l’alternance dans l’enseignement supérieur » (septembre 2011).

9C’est dans ce contexte d’accélération récente d’une tendance amorcée depuis les années 80 que se situe donc cette initiative de la SFSIC pour mettre à la disposition de la communauté des responsables de formation de la discipline des éléments d’expérience et de réflexion quant aux différentes initiatives engagées dans la formation en alternance. Les collègues intéressés par des aspects très concrets (modalités administratives des différents types de contrats et agencements pédagogiques des maquettes, organisation du pas d’alternance, aspects financiers, etc.) trouveront sur le site internet de la SFSIC des éléments pratiques apportés par les responsables de formation ainsi qu’une liste de personnes-ressources qui ont accepté de partager leur expertise pour le montage – qui reste assez lourd et complexe – de programmes de formation en alternance.

10Dans cette synthèse, nous faisons le choix de rendre compte de quelques-uns des débats qui peuvent alimenter la réflexion de celles et ceux qui envisagent se lancer dans cette voie.

11Il convient de préciser que cette voie de l’alternance peut être organisée selon deux types de contrats distincts :

12Le contrat d’apprentissage : il est géré par les CFA (centres de formations d’apprentis), ouvert aux jeunes de 16 à 25 ans en formation initiale pour 1 à 3 ans, avec une rémunération des apprentis variable selon l’âge et en général équivalente à un peu plus de la moitié du SMIC ; il est validé par l’obtention d’un diplôme de l’enseignement supérieur ou un titre d’ingénieur. Les employeurs du secteur privé comme les organismes publics ou les collectivités territoriales peuvent y souscrire.

13Le contrat de professionnalisation : il est ouvert aux jeunes de moins de 26 ans mais aussi aux demandeurs d’emploi de plus de 26 ans, pour une durée de formation de 6 à 12 mois, avec une rémunération plus élevée (autour de 80 % du SMIC). La formation qualifiante ou bien diplômante est rattachée à un organisme collecteur (OPCA) et peut être exercée directement par un organisme de formation universitaire. Ce type de contrat exclut les employeurs du secteur public.

14Nous ne disposons pas de chiffres précis quant à la répartition de ces deux formes de contrat d’alternance dans les spécialités information-communication. Mais la plus grande difficulté à monter une convention d’apprentissage validée par le Conseil Régional et la plus grande rigidité de fonctionnement et de gestion de ce dispositif semblent inciter les collègues à privilégier les contrats de professionnalisation, plus faciles et rapides à mettre en œuvre que les contrats d’apprentissage.

15Pour autant, quelle que soit la modalité adoptée, les responsables de formation en alternance insistent unanimement sur l’engagement, l’implication et le temps nécessaires à la mise en œuvre de ces dispositifs. Cette charge pédagogique et administrative très lourde, parfois assimilée à « une astreinte permanente », connaît des soutiens et des valorisations très variables selon les universités mais toujours très en deçà du temps réel consacré. Par ailleurs elle est, comme d’autres activités indépendantes de la recherche, encore très peu prise en compte dans la progression de carrières des enseignants-chercheurs.

16La professionnalisation, ancrée dans une culture souvent ancienne de certaines formations développées en lien avec les acteurs socioéconomiques locaux ou en réponse à des demandes de compétences spécialisées (et tout particulièrement celles liées aux évolutions rapides des TIC), a quelquefois trouvé un prolongement « naturel » dans l’alternance, dans la mesure où les démarches par projets, études de cas ou longues périodes de stage avaient déjà permis de nouer des interactions fortes avec les entreprises. Toutefois, l’engagement des composantes ou des départements dans l’alternance apparaît quelquefois guidé par la recherche de ressources financières destinées à assurer une partie du fonctionnement des formations sur fonds propres : les taux horaires pris en compte par les organismes financeurs sont supérieurs aux coûts réels des heures de formation et permettent donc de dégager des marges bénéficiaires… au point qu’une partie des formations initiales, déficitaires sur la base des dotations publiques, se trouvent aujourd’hui en partie financée par l’alternance.

17Cette intrication des enjeux pédagogiques et financiers mériterait sans doute d’être questionnée finement. N’y a-t-il pas, en effet, des risques liés à l’obligation de recruter chaque année un nombre précis d’apprentis dont les effectifs sont fixés avec le CFA de tutelle ; ou bien des seuils d’effectifs en deçà desquels la formation n’est plus suffisamment financée ? Le niveau et les critères d’exigences pour la sélection des candidats peuvent être en partie affectés par des considérations financières. Indépendamment de cet aspect problématique peu abordé frontalement, se pose la question des effets pédagogiques induits par l’alternance sans qu’ils ne soient réellement débattus dans les UFR au moment des choix ou des bilans.

18Certains responsables de formation mettent en avant la différentiation entre publics d’étudiants postulant pour l’alternance et candidats à la formation en cycle initial : « le profil social des alternants est souvent plus modeste que celui des étudiants en formation initiale et le capital scolaire et/ou culturel n’est pas le même ». Les représentants des CFA disent sans détours que l’alternance constitue depuis longtemps une voie de « rattrapage » pour des jeunes qui ont été mis en difficulté dans le système scolaire puis universitaire traditionnel. Même s’il semble que la motivation pour l’alternance est désormais partagée par bon nombre d’étudiants non plus seulement pour échapper aux formations académiques, mais pour des raisons positives liées aux bénéfices attendus de l’immersion en milieu professionnel, il convient de prendre en compte la spécificité d’une partie de ces publics.

19Par ailleurs, dans cette alternance entre période de pratique professionnelle en entreprise et période d’acquisition de connaissances universitaires, c’est tout le rapport entre « travail » et « savoir » qui est recomposé. Un enseignant-chercheur constate que les apprentis ou alternants ne se vivent plus comme des étudiants mais comme des apprenants : « ils priorisent l’entreprise sur l’université et cela peut conduire à un certain mépris des aspects théoriques ». Cette posture peut être renforcée par la difficulté des étudiants à prendre du recul sur des pratiques et des normes professionnelles à l’égard desquelles les maîtres d’apprentissage en entreprise adhèrent eux-mêmes sans accepter de distanciation critique. Particulièrement aiguë dans l’accompagnement en vue de la rédaction du mémoire de fin d’année, l’enjeu de la réflexivité critique et de la prise de recul traverse l’ensemble des séquences pédagogiques.

20Le débat d’opposition des cultures d’entreprise versus culture académique qui apparaissait déjà dans les débats autour des formations professionnalisantes il y a dix ans reste donc en partie irrésolu. Cependant, des pistes de travail ont été explorées par un certain nombre de collègues qui ont une expérience déjà bien ancrée de l’alternance. Une des propositions avancées est celle d’un travail de « théorisation du renforcement postural des étudiants ». En effet, on peut contester la pertinence d’une distinction radicale entre entreprise et université (qui sont finalement deux organisations dans lesquelles des jeux d’acteurs, des formes de pouvoir, des procédures, des normes, des routines, des systèmes symboliques, etc. sont observables). Pour autant, on ne peut pas nier la réalité de différences fortes entre les ces deux mondes. Et les étudiants peuvent être amenés à dépasser l’opposition entre savoirs pratiques de l’entreprise vs savoirs théoriques de l’université au profit de distinctions d’une autre nature : « par exemple on peut travailler sur le lieu université comme lieu de liberté et de créativité par opposition aux contraintes fortes de production dans l’entreprise ». D’une autre manière, ce renforcement postural différencié peut être mobilisé pour redéployer dans les travaux universitaires des acquis de l’expérience développée en entreprise et inversement. Ces mouvements de va-et-vient constitue une opportunité de réfléchir sur les compétences comparables ou complémentaires qui résultent précisément de l’alternance dans les deux systèmes.

21La prise de recul peut aussi être organisée à travers l’activité de confrontation des publics différents et des travaux réalisés par les alternants et par les étudiants en formation initiale classique. Un collègue rend compte du bénéfice des « bilans d’expérience et concertations alternants/FI, systématiquement organisés à l’issue des périodes passées en entreprise pour les uns et sur des projets de réalisation pour les autres ». Lorsque la mixité des publics existe au sein d’une même formation, l’enjeu est de prendre en compte la réalité de statuts différents pour trouver un discours commun : les alternants sont des salariés et intègrent en partie les normes de leur organisation d’accueil ; les autres sont des étudiants et par leur parcours en formation initiale sont aussi « porteurs d’une culture du diplôme, de la filière ».

22Il n’y a évidemment pas de recette unique et les équilibres trouvés l’ont été par essais et adaptations successives. L’accompagnement des responsables de formation en alternance, par leur université, dans cette ingénierie pédagogique complexe semble quasi inexistant, sauf pour les aspects de gestion comptable. Les situations présentées par les participants sont très variables selon les spécialités préparées et selon les niveaux de diplômes. Ainsi, il est assez difficile de dégager une tendance sur le pas d’alternance optimum. Toutes les formules d’alternance existent : une semaine en entreprise/une semaine à l’université ; 15 jours/15 jours ; 3 semaines/6 semaines ou encore 3 jours/2 jours au sein de la même semaine. Lorsque le recrutement des étudiants est plutôt local et les employeurs situés dans le bassin régional, l’alternance dans une même semaine est possible ; tandis que pour les masters dont le recrutement est national, seule une alternance sur de longues durées est envisageable.

23Marie-Michèle Venturini, qui a activement contribué l’organisation de cette journée, a identifié près d’une cinquantaine de formations ouvertes à l’alternance dans les UFR et départements relevant des SIC. Ce premier travail de recension des expériences, réalisé par la commission formation de la SFSIC, mérite d’être affiné et complété par une caractérisation plus complète des dispositifs d’alternance et des modalités pratiques mises en œuvre grâce à la contribution de tous.

Notes

Pour citer ce document

Valérie Lépine, «Les formations en alternance : en réflexion et en pratiques dans le champ des sciences de l’information-communication», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 9-Varia, FORMATION, MONDE PROFESSIONNEL,mis à jour le : 22/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=781.

Quelques mots à propos de : Valérie Lépine

UPMF, GRESEC. Courriel : valerie.lepine@iut2.upmf-grenoble.fr