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QUESTIONS DE RECHERCHE

Andrea Catellani et Céline Pascual Espuny

Un nouveau groupe d’études et de recherche SFSIC : « communication, environnement, science et société »

Article

Texte intégral

1Un nouveau Groupe d’Études et de Recherche a été labellisé par la SFSIC en novembre 2018 : « Communication, environnement, science et société ». Ce Groupe d’Études et de Recherche propose aux chercheurs en SIC un lieu de rencontre et de synergie dans le champ de la communication environnementale, définie par l’association internationale des chercheurs en communication environnementale (IECA) comme incluant « toutes les diverses formes de communication interpersonnelle, de groupe, publique, organisationnelle et médiatisée qui constituent le débat social sur les problèmes et enjeux environnementaux et notre relation avec le reste de la nature » (notre traduction de l’anglais)1. Le nom du Groupe exprime « l’encastrement » profond de la communication environnementale dans la société et ses liens avec le domaine scientifique. Voici quelques mots de présentation du nouveau groupe.

Description du périmètre thématique

2Nous inscrivons le périmètre thématique de ce groupe dans la mise en réseau de recherches consacrées à la communication du secteur environnement, science et société.

3Le périmètre thématique du groupe inclut les différents aspects communicationnels des notions liées aux préoccupations environnementales : l’écologie, le développement durable, la transition écologique, l’anthropocène, le risque, le discours scientifique et de vulgarisation, la communication scientifique voire muséale, la mobilisation, les crises, les discours et activités communicationnelles des acteurs publics et privés, marchands et non marchands, au niveau local, national et international, en utilisant tout type de technologie, support et dispositif. Toutes les approches et méthodologies de recherche en SIC peuvent être mobilisées, et des nombreuses le sont réellement dans ce domaine, qui a commencé à se développer à partir des année 1990 en France. Un des projets du groupe est de développer le domaine de la communication environnementale au sein des « humanités environnementales » : cette expression, qui reprend celle d’« humanités numériques », veut identifier un univers de recherche et de construction du savoir concernant la relation entre l’homme et la nature, dans lequel les SIC ont une place importante mais à valoriser.

4Nous partons du constat que de nombreuses recherches en sciences de l’information et de la communication existent en France que nous pouvons regrouper dans le périmètre « Environnement, Science et Société », sans compter les travaux issus du monde francophone. En début 2019, lors de la naissance du Groupe, nous avons comptabilisé plus de 50 thèses entre France et Canada francophone, une HDR (Pascual Espuny, 2017) et des dizaines d’articles francophones publiés sur le sujet (cf Bibliographie). En particulier, deux articles de recherche récents (2018), le premier portant sur une cartographie et un état des lieux de la recherche en communication environnementale francophone actuellement en cours de soumission (Pascual Espuny, Jalenques-Vigouroux, Catellani, Malibalo, 2018) et l’autre portant sur une réflexion globale concernant les relations entre SIC et Anthropocène (Bernard, 2018), permettent de dessiner le contour d’une recherche foisonnante et interdisciplinaire.

Communication environnementale : le développement d’un domaine de recherche

5Les problèmes de l’environnement sont une source de productions discursives et communicationnelles depuis au moins les année 1960, à la suite d’événements comme la publication du livre Silent Spring (Le Printemps Silencieux, Carson, 1962) et la première conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm (1972). Inutile de rappeler aussi la publication du rapport « Notre avenir à tous » (Our common future) des Nations Unies en 1987, la longue série des rencontres sur les changements climatiques (les « Conferences of Parties » ou COP), et la longue série des désastres environnementaux, marées noires et accidents nucléaires, qui ont influencé durablement l’opinion publique. Les notions de développement durable ou soutenable et plus tard de transition écologique, d’anthropocène et même d’effondrement s’imposent aujourd’hui dans la communication à tous les niveaux, médiatique et privé, organisationnel et individuel, via les médias traditionnels ou les « nouveaux médias ».

6Devant cette réalité imposante et grandissante, les sciences de la communication, et aussi les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) telles que constituées en France, ont cherché à construire un savoir réfléchi et scientifique. Les premiers articles sont publiés en anglais à partir des années 1970 (comme celui de Althoff, Greig, and Stuckey sur la valeur de news, newsworthyness, des informations environnementales en 1973). Les recherches de Cox ont été fondatrices, concernant des sujets comme la notion d’irréparable (par ex. 1982) ; il faut citer aussi Oravec (1981, 1984), sur les questions rhétoriques et l’opposition entre deux visions de l’environnement (conservationism ou preservationism). Evans Comfort et Eun Park (2018) observent que les chercheurs Européens se sont focalisés au départ surtout sur l’interaction entre médias et environnementalistes ; les chercheurs états-uniens ont de leur côté développé des recherches liées à la tradition américaine des “rhetorical studies” (p. 863).

7Le développement international de ce domaine de recherche a été après important, accompagné par une forme d’institutionnalisation. L’International Association for Media and Communication Research voit la naissance du premier groupe de travail sur la communication environnementale, de la science et du risque en 1988 ; la première Conférence sur communication et environnement (COCE) a lieu en 1991. Différents sous-champs se développement, en lien avec la notion de risque, de crise, le changement climatique qui s’annonce comme problème majeur de notre époque, les thèmes plus liés à la communication des organisations, l’analyse de la couverture par les mass-médias et le journalisme. La revue scientifique de référence Environmental communication démarre ses publications en 2007. D’autres sections et groupes spécialisés font ensuite leur apparition au sein des associations comme ECREA, ICA ou IAMCR. L’International Environmental Communication Association (IECA) est créé en 2011 ; elle publie la revue Environmental communication et organise tous les deux ans le colloque COCE, ouvert aussi aux contributions des artistes et des professionnels.

8Le récent article d’Evans Comfort et Eun Park (2018) fait le point sur ces recherches au niveau des publications internationales en anglais, en identifiant différentes tendances, comme une domination des sujets liés aux États-Unis.

9Dans les pays francophones, les premières recherches sur la communication environnementale sont publiées quelques années après les recherches anglophones, avec les travaux de chercheurs comme Nicole d’Almeida et Françoise Bernard, et aussi avec les propositions réflexives d’auteurs comme Thierry Libaert (1992), Michel Ogrizeck (1993) et Jacques Vigneron avec Laurence Francisco (1996). Ces recherches se développent en parallèle et en réponse à l’augmentation de l’importance du phénomène sociétal de la communication environnementale. Concernant la France, Thierry Libaert décrit l’apparition des premières activités professionnelles lors de situations de crise ou de contestation ; le thème est repris par la communication des associations environnementalistes, pour après envahir la sphère institutionnelle, publique et politique.

10« L’apparition de la communication environnementale est délicate à dater avec précision. Son histoire est étroitement liée au traitement médiatique depuis la catastrophe du Torrey Canyon […]. Cette histoire est également liée aux contestations anti-industrielles qui s’amplifient après la naissance des grandes associations environnementales, comme France Nature Environnement ou les Amis de la Terre en 1969, et Greenpeace en 1971 ; à son institutionnalisation dans les politiques publiques avec la création en France du premier ministère de l’environnement et l’année suivante, au plan international, avec le lancement de la première conférence des Nations Unies sur l’Environnement à Stockholm et la création du programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), ainsi qu’à son inscription dans le discours politique, notamment après 1974 et la première candidature écologiste à une élection présidentielle, celle de René Dumont » (Libaert, 2016 : 11-12).

11Dans la sphère de la communication d’organisation, toujours selon Libaert 2016, l’environnement fait son entrée parmi les sujets traités en particulier en lien avec des controverses comme celles sur l’expérimentation animale ou les OGM. Nous avons déjà parlé de l’importance des catastrophes, qui ont marqué la communication de crise et celle sur l’acceptabilité des projets d’implantation d’installations comme les aéroports, les barrages, plus récemment les éoliennes, etc. L’environnement prend aussi progressivement une place centrale dans la communication liée aux risques (pesticides, chalutage).

12Les médias d’information ont progressivement développé le traitement des problèmes environnementaux, ce qui a porté à une augmentation des recherches sur la couverture médiatique de ce thème, ses caractères et ses limites. Il faut rappeler par exemple les thèses et les travaux d’auteurs comme Jean-Baptiste Comby (par ex. 2015) ou Suzanne De Cheveigné (par ex. 2000), et aussi des travaux plus anciens comme celui de Sainteny (1994) sur l’environnementalisme dans la presse française.

13Nous ne voulons pas ici faire un état des lieux complet sur les recherches en communication environnementale (un article est en cours de préparation à ce propos). Mais nous tenons à remarquer l’augmentation des publications, du nombre de thèses, des projets financés, des axes de laboratoires, des collaborations interdisciplinaires. Le nouveau GER est le fruit de ce développement, mais il veut aussi être un facteur de croissance et d’augmentation des synergies dans ce domaine, qui considère les liens entre enjeux sociétaux, médiatiques, organisationnels et scientifiques de la relation entre homme et environnement naturel.

Développer les connexions et le dialogue scientifique interdisciplinaire et international

14Dans le domaine de recherche qui nous occupe les connexions entre chercheurs existent déjà, et elles ont donné lieu à des recherches communes par petits groupes de chercheurs (projets scientifiques, communications, articles, séminaires). Des axes de laboratoires existent ou viennent de se créer portant mention de thématiques relevant de l’environnement ou des humanités environnementales, à l’intérieur des SIC ou de façon interdisciplinaire, en France et dans d’autres pays francophones. Mais un travail reste à faire. Ce GER a l’ambition d’offrir un espace ouvert de dialogue scientifique, sociétal et professionnel pour augmenter la portée des recherches concernant ces thématiques toujours plus prégnantes dans la société, et qui facilite les échanges entre chercheurs ignorant parfois les travaux des autres sur des thématiques pourtant très proches (pour ne pas parler des recherches internationales). Ce groupe a pour vocation de proposer :

  • des activités d’animation scientifiques (séminaires, journées d’étude et colloques),

  • des publications écrites

  • des réponses en commun à des projets scientifiques

  • un espace digital dédié pour mettre en commun toutes les recherches francophones actuelles sur le sujet.

15L’ensemble des chercheurs formant ce groupe veut construire des compétences et des savoirs utiles à la « transition écologique » devenue indispensable à l’ère de l’anthropocène : inutile de nier que le groupe veut contribuer au changement, de façon critique et scientifique, en refusant une attitude d’isolationnisme scientifique, mais aussi toute forme de compromission avec des intérêts ou de perte de rigueur scientifique et d’indépendance.

16Nous souhaitons enfin formaliser par ce GER un collectif de chercheurs qui pourra devenir un interlocuteur des autres communautés internationales qui travaillent sur le sujet, y compris les groupes de travail et les sections d’associations internationales (IECA, ECREA, IAMCR, EUPRERA, ICA via les groupes « Environment », « Environment and Science communication », « Environment, Science and Risk Communication »). Le GER veut favoriser et faciliter les échanges, les rencontres et les collaborations avec ces autres associations.

Mode de fonctionnement, structure interne

17Les membres du groupe sont des chercheurs en SIC qui dédient une partie importante de leur activité de recherche à l’analyse des phénomènes de communication du périmètre thématique « environnement, science et société ».

18Le groupe, crée et labellisé par la SFSIC en novembre 2018, est animé par deux porteurs (actuellement Andrea Catellani et Céline Pascual Espuny, auteurs de cet article), dont le mandat dure trois ans. Ils sont aidés par un collectif d’animation, élus parmi les membres du GER pour deux ans. Ce collectif sera formalisé en juin, lors de la première journée d’études du GER qui aura lieu à Aix-en-Provence (pour plus d’informations, vous pouvez contacter les porteurs du projet). Les membres du groupe s’engagent à participer autant que possible aux activités du GER, à raison d’une activité par année académique au minimum.

19Le groupe est ouvert aussi aux professionnels et experts du secteur qui soient intéressés par une activité de réflexion sur leur domaine. Des chercheurs d’autres secteurs disciplinaires peuvent demander aux porteurs d’être associés au GER.

20Nous invitons tous les membres de la SFSIC intéressés à manifester aux porteurs du projet leur désir de participer aux activités du GER.

Bibliographie

Bernard, Françoise (2018), « Les SIC et l’“anthropocène” : une rencontre épistémique contre nature ? », Les cahiers du numérique, vol. 15 : 31-66.

Comby, J. B. (2015), « Controverse et disqualification médiatique des “climato-sceptiques” en France », Hermès, La Revue, (3) : 31-38.

Cox Robert (1982), “The Die Is Cast : Topical and Ontological Dimensions of the Locus of the Irreparable”, Quarterly Journal of Speech, 68 (1982), 227-239.

Evans Comfort, Suzannah, EUN PARK, Young (2018), “On the Field of Environmental Communication : A Systematic Review of the Peer-Reviewed Literature”, Environmental Communication, 12 :7, 862-875, DOI : 10.1080/17524032.2018.1514315.

De Cheveigne, Suzanne (2000), L’environnement dans les journaux télévisés : Médiateurs et visions du monde, Paris, CNRS Editions.

Libaert, Thierry (dir.) (2016), La communication environnementale, Paris, CNRS éditions.

Libaert, Thierry (1992), La communication verte, Paris, Editions liaisons.

Ogrizek, Michel (1993), Environnement et communication, Rennes, Apogée.

Oravec, Christine (1981), « John Muir, Yosemite, and the sublime response : A study in the rhetoric of preservationism », Quarterly Journal of Speech, 67(3) : 245-258.

Oravec, Christine (1984), « Conservationism vs. preservationism : The “public interest” in the Hetch Hetchy controversy », Quarterly Journal of Speech, 70(4) : 444-458.

Pascual Espuny, Céline (2017), Communication environnementale et communication des organisations. Logiques de publicisation, de circulation et de cristallisation, Mémoire d’habilitation à diriger des recherches en SIC.

Sainteny, Guillaume (1994), « Les médias français et l’environnementalisme », Mots, (39), juin.

Vigneron, Jacques et Francisco, Laurence (1996), La communication environnementale, Economica.

Notes

1 https://theieca.org/resources/environmental-communication
-what-it-and-why-it-matters

Pour citer ce document

Andrea Catellani et Céline Pascual Espuny, «Un nouveau groupe d’études et de recherche SFSIC : « communication, environnement, science et société »», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 16-varia, QUESTIONS DE RECHERCHE,mis à jour le : 26/04/2020,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=829.

Quelques mots à propos de : Andrea Catellani

UCLouvain, LASCO/RECOM

Quelques mots à propos de : Céline Pascual Espuny

Université d’Aix-Marseille, IMSIC