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HOMMAGES
Hommage à Geneviève
Texte intégral
1Sollicité de m’associer aux hommages que nous devons à Geneviève Jacquinot-Delaunay, et que la Sfsic sans conteste lui doit, je n’ai pas hésité mais je me suis demandé à quel titre et pourquoi on faisait appel à moi. En effet, si je connaissais Geneviève depuis plus de trente ans (depuis quand exactement je ne saurai le préciser), et si nous avons eu des relations et des échanges toujours empreints d’une grande cordialité, d’une évidente compréhension et finalement assez chaleureux, sans conflits, sans malentendus ni manœuvres souterraines pour d’hypothétiques gains personnels, nous n’étions pas proches, du moins géographiquement et surtout sous l’angle de nos spécialités universitaires (j’y reviendrai). Et sans doute, cela provient-il de ce que nous appartenions elle comme moi à une même « génération universitaire », et que nous avions eu à affronter les mêmes difficultés, à nous construire professionnellement parlant tout en construisant des espaces sociocognitifs jusque-là fort peu légitimés. C’est pourquoi je parlerai à la première personne du singulier, ce à quoi on en conviendra je suis peu accoutumé ; et je procède ainsi car je suis mal placé – d’autres, nombreux, l’ont déjà fait et cela se poursuivra – pour traiter de ses apports proprement scientifiques et méthodologiques.
2Et d’abord, il faut dire que le départ de Geneviève nous peine, me peine d’autant plus profondément, qu’elle a fait preuve de tant de courage et de détermination face à l’adversité de la maladie, qu’elle nous donnait, à chaque fois que nous la retrouvions, une belle leçon de vie. Les souffrances endurées semblaient ne pas avoir de prise sur elle et, apparemment, ne l’empêchaient pas de vivre, de continuer à travailler et à voyager (C’est la réflexion que je m’étais faite lorsque, par le plus grand des hasards, nous nous étions retrouvés, face à face, dans le hall d’entrée d’un grand musée mexicain).
3Sur ce que l’on retient d’ores et déjà d’essentiel dans les apports à la connaissance de Geneviève Jacquinot-Delaunay, je laisserai donc à d’autres, qui ont suivi de plus près ses productions successives le soin d’en tirer un bilan argumenté et complet. Cela a déjà commencé, tout particulièrement avec la publication de la livraison (2014-8) de Distances et médiations des savoirs, et ce geste, la publication quelques jours après son départ d’un numéro qui lui est consacré, en dit long de l’étroitesse et de la qualité des liens qui unissaient Geneviève aux responsables et aux auteurs de la revue, car elle a pu avoir accès sinon aux textes du moins aux résumés des contributions. De mon côté, quoique non spécialiste des questions de technologies éducatives et seulement de l’industrialisation de la formation, ce que je tiens à souligner fortement, surtout à destination des plus jeunes pour qui les positionnements scientifiques vont de soi, et sont en quelque sorte perçus comme naturels, sans que soient pris en compte les discussions, les oppositions et parfois les combats qu’il a été nécessaire de mener contre les establishments académiques et théoriques, c’est l’aspect suivant : Geneviève Jacquinot-Delaunay, sans doute, était originellement une sémiologue, spécialisée dans l’analyse des images et des images-sons, mais son coup de force à la fois théorique et pratique l’a conduite à prendre pour terrain, et plus que cela pour objet, les images éducatives (et ce si je ne me trompe pas depuis son expérience de la télévision éducative de Bouaké en Côte d’Ivoire), en s’appuyant sur les outils fournis par la sémiologie pour envisager des stratégies pédagogiques nouvelles. Cette démarche, exposée dans un numéro spécial, le numéro 33 de la prestigieuse revue Communications, prestigieuse à l’époque, elle n’a cessé de l’approfondir, en s’intéressant par la suite à d’autres technologies éducatives, celles-ci de plus en plus diversifiées, et toujours avec une visée didactique. Mais surtout, par le moyen de son approche qualifiée de « dispositive » elle intégrait l’usager et les usages, s’efforçant d’aller, comme elle l’écrit dans la présentation du même numéro de Communications « au-delà d’une certaine tradition mécaniste et technocratique des effets des médias audio-visuels ». Aujourd’hui, cette perspective a fait école, nationalement et internationalement, mais dans les années soixante et soixante-dix, il fallait une bonne dose de courage et d’audace pour donner un tel projet à la sémiologie, alors cantonnée dans l’étude de quelques arts majeurs : la littérature, les arts visuels, l’art dramatique et il est vrai le cinéma. En dépit de la relative nouveauté de l’approche sémiologique, la critique provenant y compris de la part de ses fondateurs se portait alors souvent vivement à l’encontre de qu’on considérait comme relevant de l’applicabilité.
4Dans les hommages qui lui ont été rendus, me frappe, au-delà de son rôle de pionnière, la fréquence des qualificatifs portant sur sa personnalité humaine et intellectuelle, et émanant de collègues qui ont travaillé avec elle ainsi que d’anciens étudiants. Je ne saurai recenser tous ces qualificatifs : cordialité, générosité, attention, implication dans les travaux, conseils avisés, soutien enthousiaste, souci de la communication des savoirs, panache, exigence bienveillante, inlassable curiosité, sens du dialogue, et même souci de la provocation, ce que je traduis comme une détermination permanente à remettre en chantier des acquis supposés. À partir de ces traits, relevés par tel ou tel, ce qui m’apparaît c’est que Geneviève Jacquinot-Delaunay a été non seulement une intellectuelle clairvoyante, mais plus que cela une universitaire lucide et active, et si je peux me permettre ce qualificatif, une universitaire totale. Elle a cumulé les rôles sans les monopoliser : chercheure et responsable de programmes de recherche, enseignante et pédagogue, chargée de production de programmes expérimentaux (en télévision éducative), administrateure (notamment Vice-Présidente de son Université), créatrice de filières de formation et responsable pédagogique, animatrice de revues spécialisées (entre autres de Médiamorphoses dont elle fut la cheville ouvrière) et membre de plusieurs comités de rédaction de revues scientifiques, auteure d’ouvrages de référence, responsable de missions dans des universités étrangères, experte auprès de l’Unesco, impliquée dans l’éducation aux médias, s’intéressant toujours de près au développement des technologies éducatives en Afrique, membre actif de sociétés scientifiques, etc. ; et durant sa longue vie professionnelle, elle a su passer de l’un à l’autre de ces rôles sans se laisser accaparer par l’un plus que par l’autre, sauf par la recherche qui fut vraiment sa source d’inspiration, et le moteur de son action.
5C’est au sein du Bureau de la Sfsic que nous avons coopéré étroitement entre 1986 et 1990. Elle y fut à partir de 1988 une vice-présidente active, chargée des Enseignements. Au cours de ce mandat, nous eûmes à faire face à des enjeux de taille et à nous « serrer les coudes ». C’était en effet une période effervescente marquée par une réorganisation en profondeur des formations de 1er et 2e cycles, et surtout par l’afflux en nombre d’étudiants se passionnant pour les études de communication. La Sfsic se trouva ainsi en première ligne vis-à-vis des instances de tutelle comme de nombreuses universités, et surtout vis-à-vis d’étudiants très demandeurs et même vis-à-vis de médias influents qui s’étaient emparé de l’affaire ; et notre Société a su au bout du compte faire accepter, non sans difficultés, des positions qui se révélèrent finalement durables. Et Geneviève fut particulièrement agissante pour que des solutions émergent. Ce qui étonnera vraisemblablement aujourd’hui, c’est que tout en participant à l’activité d’une société scientifique de sciences de l’information et de la communication (SIC) elle était, et a toujours été, attachée aux sciences de l’éducation (SED). Pour elle ces deux disciplines, si elles n’en formaient pas une seule, pour le moins, ne devaient pas être dissociées, et elles devaient coopérer étroitement, surtout dans le 1er cycle universitaire mais également au-delà. C’est cette orientation qu’elle a également promue dans son Université. Voilà un bel exemple de coopération intra-universitaire, qui lui tenait particulièrement à cœur, puisqu’elle est revenue sur le sujet en plusieurs occasions, longtemps après, par exemple en 2002 comme conférencière aux Journées doctorales de la Sfsic organisées au Celsa, et la même année à Mexico lors d’un Colloque franco-mexicain auquel participait une importante délégation française, et même deux ans plus tard dans un article publié dans Hermès.
6Assurément les contributions de Geneviève Jacquinot-Delaunay sont multiples et irremplaçables ; on en trouve la trace pas seulement dans ses ouvrages et autres publications ; et son souvenir ne risque pas de s’effacer de sitôt de nos mémoires.
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Bernard Miège
Président de la SFSIC (1988-1992)