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Formation

Michel Durampart

Des directrices et des directeurs de recherche évoquent leurs expériences d’encadrement de doctorants en CIFRE
Une thèse en CIFRE : un challenge et un apport fertile

Article

Texte intégral

1Une thèse en CIFRE est le noyau d’une résolution d’opportunités et de contraintes fertiles mais aussi complexes qui relève du sens que l’on peut donner à la recherche action, la recherche appliquée, la conciliation entre recherche théorique et l’épreuve du terrain. Je développerai en trois temps cet argument en abordant les spécificités d’une thèse SIC en CIFRE (et au-delà dans les SHS) pour un directeur et un laboratoire, j’aborderai ensuite les atouts et difficultés que son suivi implique et enfin, les perspectives de l’apport des thèses en CIFRE pour un laboratoire en SIC.

2Pour le directeur ou directrice de thèse, la difficulté première repose sur l’ancrage d’une thèse CIFRE en SHS. Malgré les efforts de l’ANRT, depuis une dizaine d’années (et on peut le reconnaitre) et une évolution des entreprises qui doit se poursuivre et se renforcer, les SHS se heurtent toujours à un certain nombre de résistances ou de réticences. On voit une évolution puisqu’entre 2012 et 20181 : 648 thèses CFIFRE en SIC ont été réalisées et cette discipline porte le plus haut volume de thèses signées en SHS. Cependant, seulement 28 % des Cifre sont en SHS en 2018, 25 % des CIFRE SHS sont portées par le secteur tertiaire, (contre 2 % pour les autres sciences), 20 % signées avec des associations ou collectivités territoriales. On décèle derrière ces chiffres une plus faible proportion de la présence des SHS en secteur industriel. Dans mon laboratoire, nous avons pu en porter quelques-unes, notamment dans le secteur aéronautique (Barroy, 2018). Pour autant, c’est toujours une longue négociation, comme si une thèse ancrée en SHS n’était, de fait, pas naturellement adaptée au domaine industriel. Je me rappelle mes premières expériences à ce niveau du temps où j’étais membre de Paris 13 entre 2000 et 2010 et ou certaines tentatives esquissées montraient la réticence des organisations industrielles, voire de service, à accepter la dimension utile, pertinente d’une thèse en SHS. Je me souviens d’une difficulté à convaincre qu’une thèse en CIFRE SHS pouvait avoir une dimension opérationnelle tendue vers des résultats. Si la situation a évolué (notamment depuis mon arrivée en région Sud PACA en 2010) dans le domaine plus précisément des équipements, dispositifs, outils numériques, il reste toujours une démarche de conviction à opérer. Là encore, il peut même arriver qu’en dépit d’un engagement de l’entreprise, du laboratoire, d’une bonne réception de l’ANRT, les évaluateurs venant d’autres disciplines émettent un avis défavorable lorsqu’il s’agit notamment d’un milieu industriel (expérience vécue où seul un recours -secteur avionneur- avait permis enfin d’emporter l’adhésion des experts ANRT). Il faut alors convaincre de la capacité à intégrer un doctorant dans un processus qui produira des résultats associé à un programme de recherche pertinent. Il faut insister sur la valeur ajoutée de son implication dans la prise en compte des contraintes, des difficultés, des mouvements, dans une organisation à partir d’un résultat productif. Cette dimension avait d’ailleurs été bien comprise par l’entreprise concernée. Cela revient à dire à l’entreprise que la recherche sera en mesure d’amener des résultats mais qu’ils seront environnés et pas seulement produits en prenant en charge les nouvelles dynamiques liées à la mise en place d’un processus ou d’un programme.

3Ce qui me tient à cœur en SIC, c’est que cette discipline est bien positionnée pour des thèses en CIFRE à partir d’un postulat posé en SHS et d’un regard sur des enjeux qui dépassent les résultats et processus engagés pour aller vers des questions de recherche compatibles avec une démarche que l’on pourrait qualifier d’ingénierie de recherche.

4Sur cette base, un ensemble de contraintes se forme qui permet d’arriver à cette finalité. Pour le directeur de thèse c’est toujours une certaine chronophagie : tenir les relations entre les acteurs clefs, monter le dossier et remplir les pièces afférentes, échanger avec les parties prenantes, répondre aux demandes ANRT, consolider la démarche dans l’établissement, dans l’entreprise et ensuite engager un suivi qui répond aux spécificités de la thèse en CIFRE. Dans le cadre de l’expérience personnelle déjà évoquée en milieu industriel, j’ai constaté à quel point, même quand la thèse débute dans de bonnes conditions avec un doctorant bien armé, il y a toujours un moment ou une triangulation des contraintes se manifeste de façon plus ou moins accrue. Elle se situe entre l’attente de résultats par le partenaire et son impatience, la volonté de « faire science » et le doctorant qui doit tenir la bonne mesure entre ces deux pôles. Le rôle du directeur de thèse, du laboratoire, de l’établissement (services appui à la recherche) est alors d’aider à résoudre ces pressions en insistant sur la valeur ajoutée de la recherche CIFRE dans un positionnement SHS.

5Le directeur est alors médiateur entre attentes et exigences et rappelle à l’organisation de faire résultat dans une perspective scientifique. Il doit ensuite être le garant en comprenant aussi le contexte et la situation de l’organisation et en empêchant, par exemple, le doctorant de délaisser la dimension scientifique du fait des pressions exercées dans l’entreprise. Il convient aussi de répondre aux sollicitations de l’ANRT, en aidant aussi le doctorant à préparer son évolution professionnelle, en maintenant aussi les bonnes conditions de travail en laboratoire. Donc, le directeur est médiateur, régulateur, arbitre entre parties prenantes. C’est une fonction multi tâches (comme souvent dans nos métiers) et encore plus au vu des apports de financement qui demandent de tenir une certaine responsabilité et un engagement entre les parties prenantes en permettant au doctorant de répondre aux attentes de l’entreprise et aux bonnes règles de la recherche scientifique.

6Pour autant, les atouts d’une thèse en CIFRE sont précieux tout en entretenant certaines contraintes. Au niveau le plus direct et matériel, c’est le financement impliquant une sécurisation pour le doctorant qui l’expose par contre à des pressions plus fortes que dans une thèse classique. Cela peut être aussi une source de moyens pour le laboratoire et le doctorant conjointement. Ce peut être aussi le support de l’exploration d’une véritable situation en terrain apprêté en milieu professionnel. Ceci ramène presque la thèse CIFRE au niveau d’un programme de recherche dans la mesure où il s’agit d’une confrontation avec un terrain pendant au moins 3 ans avec la capacité pour le doctorant, le directeur, ou d’autres membres du laboratoire d’acquérir une connaissance contextualisée (il faut insister là sur un retour et un partage d’expérience au sein du laboratoire afin d’éviter aussi que la thèse CIFRE se retrouve retranchée du travail collectif de recherche). C’est aussi, potentiellement, l’occasion d’avoir accès à une véritable dynamique d’expertise scientifique qui peut se prolonger dans un contrat de valorisation. C’est le cas d’une CIFRE en rééducation fonctionnelle (Golliot, 2020) qui vient de se conclure, liée à la conception d’un serious game, qui a engagé notre laboratoire sur une convention et un contrat nous associant à l’exploitation du dispositif. De fait, la diffusion d’expérience au sein du laboratoire qui fait se rencontrer théorisation et recherche action ou appliquée avec toute la problématique que cela comporte est un atout conséquent. Mais il faut aussi équiper et garantir la valeur du travail du doctorant dans le laboratoire, renforcer l’ancrage scientifique du doctorant et de la recherche en son sein. La position du doctorant engage la crédibilité scientifique du travail mené dans l’ouverture vers des mises en perspectives professionnelles hors académiques. Dans notre laboratoire, nous avons mis en place sur ce plan des rencontres inter-doctorants, seuls ou avec les titulaires, des séminaires et des journées d’études indirectement ou directement liés à ces questions en nous appuyant aussi sur l’école doctorale.

7L’ancrage des CIFRE au sein d’une équipe de recherche est un apport indéniable, vis à vis des résultats et de la stabilisation à la fois économique et stratégique par la richesse de l’entretien des relations avec le milieu entrepreneurial hors académique et la capacité du laboratoire à faire connaître ses recherches et son expertise. Cela a conféré à mon laboratoire une forme de dynamique fertile entre doctorants, un enrichissement de l’analyse des liens entre théorisation et recherche appliquée, à une culture de l’intégration de la recherche dans les organisations à partir de cas spécifiques. Ce savoir accumulé peut faire école du côté, par exemple, des nouvelles dynamiques d’apprentissage liées aux dispositifs numériques en milieu industriel et au secteur des services. Il faut aussi penser aux perspectives d’une CIFRE sous forme de contrats annexes, de valorisation (quelques cas dans notre laboratoire), au maintien de relations avec les organisations dans un cadre local et national, à l’animation de réflexions dans la traduction de la science dans la société. Nous avons depuis quelques années l’exigence de maintenir une régularité d’engagements dans des CIFRE (au moins une ou deux chaque année). L’apport majeur est bien dans une forme de culture de recherche en CIFRE (qui nous semble nécessaire si le laboratoire veut engager une véritable démarche d’accueil de thèses en CIFRE et pas seulement de profiter d’opportunités). Il convient alors d’entretenir des relations privilégiées et de qualité avec le tissu économique, les institutions, et les organismes de tutelles depuis l’ANRT, la SATT, les différents consortiums ou groupements de recherche et développement, des métropoles (Reboul, en cours) qui permettent de valoriser le positionnement du laboratoire. Je termine sur ce qui me semble déterminant : la capacité des SHS et des SIC en particulier à produire un apport de résultats qui se propagent sur les enjeux, les dynamiques d’acteurs, les tensions, les problématiques de changement et d’évolution au-delà du résultat apporté ou du projet conduit afin de guider la thèse vers une réflexion scientifique à part entière.

Bibliographie

Barroy Willy. (2018). L’hybridation du dispositif de formation d’Airbus Helicopters face aux technologies immersives : Présentée, et soutenue, par Willy BARROY, le 07 septembre 2018, Université de Toulon, UR IMSIC.

GollioT Jean. (2020). Rupture cognitive et conceptuelle dans l’orientation de la dimension soignante en rééducation fonctionnelle cognitive avec l’introduction d’un Serious Game thérapeutique agissant en tant que dispositif de médiation, soutenue en Juillet 2020, Université de Toulon, UR IMSIC.

Reboul Pauline. (en cours). Conception d’un dispositif d’accompagnement des usages du numérique dans les collèges d’une métropole orienté par l’analyse de l’activité des référents numériques, Université de Toulon, UR IMISC.

Notes

1 Sources : Angelier, C. (2018). La recherche partenariale en sciences humaines et sociales, l’expérience des CIFRE, publication numérique de l’ANRT, www.anrt.asso.fr

Pour citer ce document

Michel Durampart, «Des directrices et des directeurs de recherche évoquent leurs expériences d’encadrement de doctorants en CIFRE», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 17-varia, Formation,mis à jour le : 04/04/2022,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=913.

Quelques mots à propos de : Michel Durampart

Université de Toulon, laboratoire IMSIC, michel.durampart@univ-tln.fr