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Formation

Patrice de La Broise

De l’utilité d’une CIFRE : quelques mobiles de conventionnement

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Texte intégral

1Dans le projet d’une recherche doctorale, quelle qu’elle soit, se pose immanquablement la question de son accomplissement, en SIC comme en d’autres disciplines. L’objet de la recherche et sa problématisation en constituent bien sûr la condition première, mais des contingences — plus pratiques et prosaïques — sont à considérer.

2L’accès au terrain peut, dans de nombreux projets doctoraux, constituer une nécessité impérieuse et le cadre organisationnel d’une observation, fût-elle non participante, en est souvent la condition, non suffisante mais nécessaire. C’est, du reste, ce qui fait sans doute pour une bonne part l’originalité et la difficulté de recherches en communications organisationnelles. De ce point de vue, les « conventions industrielles de formation » présentent un intérêt indéniable pour les futur.e.s doctorant.e.s en quête d’un terrain dont l’accès leur est non seulement autorisé, mais ratifié.

Les perspectives et contraintes d’un encadrement

3Face à la précarité du statut de doctorant.e, dont les difficultés matérielles peuvent ajouter aux exigences intellectuelles d’un projet de thèse, les directeurs et directrices de recherche — comme aussi les directions de laboratoire et les écoles doctorales — ont la responsabilité morale de veiller à la faisabilité des recherches qu’ils.elles autorisent ou encadrent. De ce point de vue, un conventionnement avec une organisation constitue un moyen privilégié de lever la contrainte du financement, aujourd’hui déterminant pour la recevabilité des projets de thèses. Le nombre restreint de contrats doctoraux et d’allocations doctorales allouées aux candidats ajoute encore à cette difficulté et recommande, particulièrement en Sciences Humaines et Sociales, d’emprunter d’autres voies.

4Pour autant, la CIFRE constitue moins une option par défaut qu’un choix motivé par la « recherche action » dont procède l’élucidation d’un problème scientifique à la faveur de la résolution d’un problème organisationnel, ou réciproquement. Ici réside l’attrait, comme aussi la contrainte, d’une recherche dont « l’utilité » sociale prend une valeur contractuelle.

5« La RA se démarque [ainsi] clairement des sciences participatives dans la mesure où les chercheurs sont considérés comme des partenaires et qu’ils assument, conjointement avec les acteurs, “ la responsabilité de mener à bien l’élaboration des connaissances fondamentales en liaison avec la poursuite du succès d’un projet ” » (Liu 1997 : 185, cité p. 7)

La CIFRE, comme « contrat » de recherche : temporalités de l’accomplissement

6La « convention » de recherche en entreprise n’est pas un acte réglementaire anodin dans la conception et la réalisation d’un projet doctoral. Elle suppose, précisément, que les parties prenantes « conviennent » de ce projet et de son accomplissement. Un tel engagement fait l’objet d’une écriture conjointe où la convergence des intérêts respectifs du.de la doctorant.e, de l’organisation d’accueil, et du laboratoire de rattachement doivent être attestés et argumentés pour une expertise que le FNRS délègue à des universitaires de la discipline. Or cette instruction administrative et scientifique indispensable à la recevabilité de la candidature ne peut guère s’accomplir en-deçà de 9 à 10 mois ; elle nécessite donc d’être anticipée très en amont d’une inscription en doctorat. De sorte que les étudiants de Master et leurs enseignants seraient bien inspirés de les y préparer dans le cadre même d’une initiation à la recherche, à ses cadres d’exercice et à ses métiers.

Observation participante ou participation observante ?

7À l’instar de l’alternance, une recherche sous convention CIFRE est inévitablement un dispositif de « l’entre deux » où se vivent des écarts identitaires et des tensions subjectives (Kaddouri, 2008). Les doctorants sont investis dans deux espaces (académique et professionnel) de socialisation distincts – et parfois antagoniques –, dont l’inclusion génère simultanément des opportunités et des écueils possibles (Kaddouri, 2012). 

8Dans la démarche de simple observation, le chercheur ne prend pas part à la vie du groupe : il l’observe de l’extérieur à l’insu ou avec l’accord des parties-prenantes. Mais ici, en tant que salarié, membre d’une organisation, le doctorant est plus qu’un simple observateur. Il est en mesure de mener une démarche d’observation participante en ce qu’il étudie une communauté en participant à sa vie même. De surcroît, son engagement peut l’amener à inverser le sens de la relation entre observation et participation. On parlera alors de « participation observante » (Peretz, 2004), en ce que l’action ne constitue pas seulement la scène (ou le cadre) de l’observation, mais en devient le mobile.

9Dans ce glissement – parfois imperceptible ou involontaire – de posture (Dulaurans, 2015), toute la difficulté, consiste « à ne pas être “aspiré”, voire obnubilé par l’action, ce qui bloquerait toute possibilité d’analyse approfondie et se ferait au détriment de l’abstraction » (Soulé, 2007 : 129). Hughes (1996) qualifiait ainsi d’émancipation la démarche dans laquelle le chercheur trouve « un équilibre subtil entre le détachement et la participation » (…) : être participant et observateur à temps partiel, c’est-à-dire participant en public et observateur en privé » (cité par Soulé, op. cit. 129).

Les vertus et contraintes de la commande

10Les sciences de l’ingénieur ont coutume d’installer la recherche dans un protocole qui s’impose plus sûrement au chercheur qu’il n’en décide. De ce point de vue, l’appellation même d’une « convention industrielle » est ambiguë, voire trompeuse, en ce qu’elle occulte bien d’autres cadres organisationnels (associations, collectivités, entreprises publiques ou de services) de recherche doctorale. Surtout, cette appellation inscrit le projet doctoral dans la perspective d’une « recherche-action » et/ou d’une « recherche-intervention », lesquelles supposent un engagement direct du chercheur dans la construction sociale de la réalité (Mérini et Ponté, 2008) et contribuent à la transformation des organisations dans lesquelles elles s’accomplissent.

Bibliographie

Marlène Dulaurans, « CIFRE : parcours de compétences d’une thèse annoncée », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 23 janvier 2015, consulté le 21 novembre 2019.

« Au sein de [ces] différents environnements, une relation tripartite s’engage dans laquelle le doctorant acquiert généralement une première expérience reconnue dans le monde professionnel mais également académique par la réalisation d’un travail de recherche approfondi qui aboutit à la soutenance d’une thèse de doctorat, l’institution explore ou améliore un de ses domaines de compétence par une expertise de pointe et le laboratoire tisse des liens avec le monde professionnel ouvrant sur de multiples modes de partenariats ».

« Bien loin des caractéristiques d’une simple recherche de terrain, il nous a fallu beaucoup de temps pour réaliser que le haut degré d’implication personnelle que requiert le statut de doctorant CIFRE, lui confère un rôle véritablement à part, où l’identité pour autrui se déconnecte de l’identité qu’il garde pour soi. Cette posture professionnelle atypique ancrée par de multiples facettes identitaires s’attache pour autant à élaborer une recherche utile pour l’entreprise et vise à concilier pour cela la production de connaissance et celle de l’action ».

DULAURANS Marlène, FOLI Olivia, Tenir le cap épistémologique en thèse CIFRE. Les ajustements nécessaires et leurs effets sur les connaissances produites, Études de communication, n° 40 « Épistémologies, théories et pratiques professionnelles en communication des organisations », mai 2013, pp. 59-76.

Rachel LEVY décrit ce dispositif CIFRE comme l’opportunité de produire des connaissances « dans un contexte d’application pratique, mais également transdisciplinaire et dynamique » (LEVY Rachel, les doctorants CIFRE : Médiateurs entre laboratoires de recherche universitaires et entreprises, Revue d’Économie Industrielle, n° 111, 2005, p. 80.

Pour citer ce document

Patrice de La Broise, «De l’utilité d’une CIFRE : quelques mobiles de conventionnement», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 17-varia, Formation,mis à jour le : 04/04/2022,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=914.

Quelques mots à propos de : Patrice de La Broise

Université de Lille, laboratoire GERIICO, patrice.de-la-broise@univ-lille.fr