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Formation

Olivier Galibert et Jocelyne Arquembourg

Les contrats CIFRE : une opportunité raisonnée et raisonnable pour les SIC

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Texte intégral

1Deux directeurs de recherche ont accepté de revenir sur les particularités qu’impliquent à leur sens l’encadrement de jeunes doctorants en CIFRE.

2Quelles spécificités représentent le suivi d’un doctorant ou d’une doctorante en CIFRE pour le directeur ou la directrice de recherche ?

3Jocelyne Arquembourg : À mon sens, le suivi d’un doctorant en CIFRE présente plusieurs spécificités :

  • Le choix de l’entreprise est crucial car il doit permettre de développer tous les aspects d’une problématique qui intéresse le directeur de thèse et le doctorant. Il s’agit d’un équilibre complexe à trouver, puisque le sujet de thèse doit intéresser l’entreprise, qui doit, elle-même, parier sur son développement et son aboutissement. En fait, il me semble que le meilleur moyen de réaliser cet accord, est qu’il y ait consensus sur les enjeux (sociaux, économiques, écologiques, en termes de politiques publiques etc) du sujet. Il est donc important aussi de réfléchir à la manière dont la thèse peut s’inscrire dans les stratégies de développement de l’entreprise. Cela ne veut pas dire pour autant que le sujet doit être plus professionnalisant, il s’agit au contraire, de fournir à l’entreprise un recul et une vision d’ensemble, que seule la recherche peut apporter. Encore une fois, de cet accord décisif, découle le confort du doctorant, et la qualité du travail à venir.

  • La relation avec le tuteur dans l’entreprise est aussi décisive afin de pouvoir gérer conjointement la charge de travail qui incombe au doctorant. En général, cela s’accompagne de rencontres mensuelles des trois partenaires, au cours desquelles le doctorant présente l’avancée de sa thèse, et peut évoquer ses activités dans l’entreprise. Ces rencontres s’ajoutent au suivi plus traditionnel qu’effectue le directeur de thèse. Il faut donc souligner que le suivi d’un doctorant en CIFRE est plus lourd qu’un suivi classique, et que les impératifs de temps sont contraignants puisque la thèse doit être achevée en trois ans.

4Olivier Galibert : Le contrat CIFRE implique, selon nous, un investissement particulier de la part du directeur de thèse. Aujourd’hui, les directeurs de recherche sont tous impliqués dans la recherche de financements. Il devient donc extrêmement rare qu’un doctorant choisisse et impose son sujet ad hoc. Il y a donc une forme de convergence avec les sciences expérimentales pour lesquelles le directeur de recherche construit le sujet et le propose ensuite à ses doctorants potentiels. Le contrat CIFRE fonctionne sur cette logique.

5Mais avant de construire le projet scientifique que l’on soumettra à l’ANRT, il faut que le directeur de recherche s’investisse fortement dans l’initiative partenariale. Il faut être en mesure de saisir le besoin d’un acteur industriel (entreprise), politique (une collectivité territoriale) ou de bien commun (une association) en termes de connaissance scientifique. Cela implique de pouvoir vulgariser son travail et de se positionner dans des réseaux d’acteurs impliqués dans le monde socio-économique. Il sera impératif, dans cette phase-là, d’être accompagné par les services « valorisation/transfert » de l’université d’attache ou par les « chargés d’affaires » de la SATT1 de référence. En effet, le chercheur public n’est pas formé à la négociation financière, et aura naturellement tendance, particulièrement en SHS, à sous-estimer les coûts environnés, voir les frais de fonctionnement, du projet. De plus, cette phase de négociation implique une bonne connaissance de dispositifs incitatifs tels que le CIR, très critiquables par ailleurs mais qui, dans ce cas bien précis, jouent parfaitement leur rôle.

6Par ailleurs, il faut également être en mesure de comprendre les temporalités du partenaire industriel. Il ne s’agit pas de s’asseoir sur le temps long de la recherche, mais simplement d’accepter des points d’étapes, les fameux livrables, qui impliquent d’organiser les différentes phases de la recherche et de fournir des connaissances à un partenaire qui peut en tirer profit immédiatement, en terme opérationnel ou stratégique. Bien entendu, cette perspective n’empêche pas des réajustements en cours de route, car des terrains peuvent s’ouvrir, et d’autres se fermer, au rythme des opportunités et des menaces qu’identifie l’organisation partenaire. Il faudra donc, pour le directeur, comprendre les enjeux politiques ou économiques du partenaire pour adapter un projet, par exemple dans ses ajustements empiriques, sans déroger à l’esprit de la problématique provisoire initiale.

7Enfin, il faudra veiller à ce que le doctorant ne disparaisse pas dans l’activité ordinaire de l’entreprise. Nos doctorants, bénéficiant souvent d’une formation professionnelle en communication stratégique, vont être sollicités pour du conseil voire de la réalisation de supports. Si des ajustements sont toujours possibles, le directeur de recherche devra faire comprendre au partenaire que le doctorant est un chercheur qui produit de la connaissance scientifique. A titre d’exemple, l’implication dans le design de DISTIC ne peut se faire que dans le cadre d’une recherche-action où l’activité même de conception constitue l’un des processus étudiés par le chercheur.

8Quels sont les atouts et éventuellement les difficultés que les thèses en CIFRE représentent pour le laboratoire d’accueil ? S’agit-il d’un système à développer dans les années à venir ?

9Olivier Galibert : De notre point de vue, le contrat CIFRE constitue une réelle opportunité pour le laboratoire d’accueil. D’une part, le contrat CIFRE permet le financement d’un doctorant et donc assure, dans des conditions matérielles décentes, le renouvellement des hypothèses et des problématiques nécessaires à la pérennité d’une unité de recherche. D’autre part, le contrat CIFRE permet de développer aujourd’hui de véritables projets de recherche collectifs. En effet, le contrat de collaboration, imposé entre le laboratoire et l’organisation partenaire, n’engage pas seulement les frais de l’activité du doctorant. Il engage également la connaissance et l’expertise déjà développées au sein du laboratoire, par le directeur de recherche et éventuellement son équipe ou ses collègues proches. C’est ainsi que le projet de recherche déposé à l’ANRT pour obtenir l’inscription dans le dispositif CIFRE peut impliquer d’autres chercheurs, autres que le doctorant et le directeur de recherche. Le projet de thèse, l’action du doctorant, peuvent s’insérer de même dans un programme de recherche plus vaste porté dans le laboratoire. Bien entendu, cette logique impliquera une rédaction serrée du contrat, notamment en termes de propriété intellectuelle et de confidentialité.

10Ainsi, le contrat CIFRE permet au laboratoire de développer une recherche doctorale innovante et de financer une partie de son activité. Sur cette dernière dimension financière, un pourcentage du montant du contrat de collaboration sera fréquemment versé au laboratoire. C’est le cas par exemple en Bourgogne où les contrats de collaborations sont portés par Sayens, la SATT Grand Est, qui transfère durant les 3 ans de la thèse, entre 1 500 et plus de 3 000 euros annuels au laboratoire CIMEOS. En période de raréfaction de financement public pour la recherche, cet apport peut représenter plus de 10 % du budget récurrent de notre unité de recherche.

11Dans ce contexte, il nous paraît tout à fait souhaitable de développer les partenariats de recherche dans le cadre des CIFRE. En effet, tous les directeurs de recherches s’engagent aujourd’hui dans la recherche contractuelle. Ils ne le font pas massivement par choix, mais par obligation puisque c’est aujourd’hui la seule voie pour financer l’activité scientifique. Cet état de fait, largement conspué notamment dans le cadre de la contestation du projet de loi de programmation pour la recherche (LPPR), au-delà du fait qu’il conditionne les thématiques de recherche sur des sujets jugés stratégiques par quelques hauts fonctionnaires n’ayant souvent jamais mis un pied à l’université ou dans un grand organisme de recherche (CNRS, INRAE, INSERM, etc.), épuise les énergies. Les taux de réussites de financement de projets déposés à l’ANR ou dans le cadre des programmes européens H2020 sont là pour en témoigner. Sans affirmer que les partenariats CIFRE sont plus aisés à construire et à faire aboutir, ils nous apparaissent moins chronophages et bureaucratiquement complexes. Surtout, une fois le partenariat fixé, ils sont plus rapides à voir aboutir, que ce soit positivement ou négativement.

12Pour finir, au-delà de l’aspect financier, les contrats CIFRE permettent aux chercheurs d’être au plus près des processus info-communicationnels qu’ils souhaitent observer. L’élargissement des organisations éligibles au dispositif (entreprise, mais également collectivités territoriales ou associations loi 1901) permettent à toute ou partie des recherches menées en SIC de tenter de mobiliser ce type de partenariat, qu’elles s’inscrivent en communication des organisations, en communication publique ou politique, en sémiotique, en sociologie des usages ou en économie politique des biens culturels.

13Joceyne Arquembourg : L’atout majeur qu’apporte une thèse en CIFRE concerne les sommes allouées au laboratoire via le directeur de recherche. Ce financement permet aisément de mener des études de terrain, y compris, à l’étranger, ce qui est un atout non négligeable pour donner plus de densité à la partie empirique de la thèse. Enfin, cela permet aussi d’organiser des événements autour du sujet de thèse : JE, ou colloque.

Bibliographie

Il est de plus en plus clair qu’à l’avenir, toutes les thèses devront être financées d’une manière ou d’une autre. Le dispositif CIFRE fait partie des solutions de financement possible et mérite d’être développé, à condition, encore une fois, de pouvoir maintenir de manière concomitante les exigences d’un travail de recherche en SIC, à la fois sur le plan théorique et empirique.

Notes

1   Société d’Accélération du Transfert de Technologies.

Pour citer ce document

Olivier Galibert et Jocelyne Arquembourg, «Les contrats CIFRE : une opportunité raisonnée et raisonnable pour les SIC», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 17-varia, Formation,mis à jour le : 04/04/2022,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=915.

Quelques mots à propos de : Olivier Galibert

Université de Bourgogne, laboratoire CIMEOS, olivier.galibert@u-bourgogne.fr

Quelques mots à propos de : Jocelyne Arquembourg

Université Sorbonne Nouvelle, Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (I3), unité mixte de recherche du CNRS, jocelyne.arquembourg@orange.fr