Aller la navigation | Aller au contenu

Formation

Maëlle Bazin et Morgane Maridet

Un guide pratique de démarrage en doctorat : expliciter pour accompagner une entrée dans le métier

Article

Texte intégral

69-75

01 janvier 2023

1La formation à la recherche pour les étudiant·e·s de troisième cycle, qui fait partie intégrante des missions des écoles doctorales, s’est développée ces dernières années, cependant force est de constater l’existence de disparités entre les disciplines et les laboratoires (Kallenbach, 2020, 36), « l’offre de formation [ayant] plus de mal à se développer lorsqu’il s’agit de toucher les doctorants des sciences humaines et sociales » (Biaudet et Wittorski, 2015). Or, les injonctions institutionnelles sont de plus en plus pesantes pour les doctorant·e·s (Sigalo Santos et Lebrou, 2019) : il est exigé d’elles·eux qu’ils finissent rapidement leur thèse tout en ayant une expérience significative dans toutes les composantes du métier d’enseignant·e-chercheur·e (activités de publication et de communication, missions d’enseignement, responsabilités administratives, organisation d’événements). Mais ces attentes croissantes et contradictoires ne s’accompagnent pas toujours d’une véritable formation à la recherche, comme le notent Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp :

Au-delà des questions de méthode, une formation à la recherche en sciences sociales devrait – a minima – transmettre une connaissance critique du paysage institutionnel, expliciter et interroger les pratiques professionnelles (y compris en termes d’accès aux financements et aux postes) et considérer l’apprentissage de l’écriture de la recherche comme l’une de ses missions principale. […] Considérer la thèse et son écrire comme des phénomènes exclusivement individuels revient à concevoir une formation à la recherche uniquement limitée à la pratique de la recherche elle-même, à un apprentissage par le faire, à une simple (mais redoutable !) plongée dans le « grand bain ». (Hunsmann et Kapp, 2013, 24)

2Le fonctionnement et les enjeux du monde de la recherche – allant de l’écriture scientifique aux conditions de recrutement en passant par les modalités de financement – ne sont pas ou mal explicités, renvoyant en partie la mission d’information à des initiatives individuelles à l’instar du « Guide du voyageur Galaxique »1 qui fournit de précieux conseils pour la réalisation d’un curriculum vitae analytique en vue d’une candidature à un poste de maître·sse de conférences. C’est avec cette même volonté de « mettre en lumière des choses qui restent dans le brouillard », que nous avons, en 2021 – alors que de nombreux doctorant·e·s rencontrent des difficultés croissantes engendrées par la pandémie de Covid 19 (Lumiau, 2021), marquées pour certain·e·s par une diminution du temps accordé à la formation doctorale (Chachkine et al., 2021, 88) et par un impact néfaste sur le plan émotionnel (ibid, 89) – rédigé un guide pratique de démarrage en doctorat à destination des étudiant·e·s en sciences humaines et sociales. Le présent article revient sur la genèse de ce projet et sur le contenu de ce guide2. Nous poserons donc les principes qui ont orienté ce projet, à savoir la volonté de concevoir le doctorat comme une expérience professionnelle à part entière (1) et celle de combler une lacune dans la circulation de l’information en début de doctorat (2), avant de présenter les quatre thématiques qui composent ce guide (3).

Le doctorat, une expérience de socialisation professionnelle à part entière

3La volonté d’explicitation à l’origine de ce guide était accompagnée de l’attachement à considérer le doctorat non seulement comme une période de formation universitaire, mais aussi, voire avant tout, comme une expérience de socialisation professionnelle à part entière, à l’image de celle étudiée par Everett Hugues (1958) pour les jeunes médecins. Le doctorat marque en effet l’immersion dans une culture professionnelle particulière, celle du monde académique, et un « passage à travers le miroir », de l’étudiant·e à la·au professionnel·le - enseignant·e, chercheur·e. Concrètement et symboliquement, l’expérience doctorale est certes une expérience de formation, mais elle est également un temps d’acquisition de normes, compétences, pratiques et idéaux relatifs à un monde professionnel particulier, celui de l’université. Par ailleurs, cette socialisation est marquée par des particularités disciplinaires : la recherche et l’enseignement ne s’apprennent pas exactement de la même façon en physique qu’en littérature, en gestion qu’en sociologie. Relations de travail et rapports hiérarchiques, outils de recherche, normes de rédaction et de communication, événements scientifiques, sociabilités et insertion dans le laboratoire sont quelques-unes de ces variations disciplinaires dans l’exercice du métier, qui font écho à celles connues dès le début de leurs cursus par les étudiant·e·s (Millet, 2003). Il s’agit donc pour les doctorant·e·s d’appréhender des cultures et des outils professionnels spécifiques à leur domaine de recherche, et d’autres plus communs, et ce dans toute la variété des activités impliquées par la réalisation du doctorat. Enfin, ces activités participent pleinement à la réalisation de la mission de formation et de recherche de l’université : les doctorant·e·s, à l’image de leurs collègues titulaires, publient, enseignent, organisent et participent à des événements scientifiques, gèrent des questions administratives. Le fait qu’elles·ils n’en retirent pas forcément un salaire ne doit pas faire oublier qu’elles·ils exercent concrètement ces fonctions.

L’entrée en doctorat : une période de flottement marquée par une carence informationnelle

4Bien que nous ayons bénéficié toutes deux d’une bonne insertion dans des équipes de recherche et d’enseignement – en grande partie facilitée par l’obtention d’un contrat doctoral –, participé à des activités scientifiques au sein de nos universités et en dehors, tissé des liens avec plusieurs de nos collègues, il nous est apparu que certaines informations pourtant nécessaires pour mener à bien notre doctorat ne nous avaient pas ou trop tardivement été communiquées. Nos expériences universitaires ainsi que les discussions menées avec d’autres doctorant·e·s en SHS dans le cadre d’ateliers ou de conversations informelles, nous ont amené à formuler un double constat concernant l’entrée en doctorat. Tout d’abord, l’existence d’une période de flottement, entre l’inscription administrative marquant officiellement l’entrée en doctorat et la première réunion du laboratoire de recherche ou le premier rendez-vous avec le directeur·trice de thèse. Une observation qui avait déjà été formulée dans une passionnante étude collective publiée en 2015 (Chao et al.). À partir d’entretiens individuels et collectifs avec des doctorant·e·s en SHS, les auteur·e·s s’intéressent à la solitude en tant qu’expérience transversale, liée à la nature même de l’exercice de la thèse mais aussi à des causes structurelles et institutionnelles, comme l’encadrement et le statut des doctorant·e·s. Ils évoquent alors l’entrée en doctorat comme une période de latence durant laquelle la·e doctorant·e peut se sentir particulièrement seul : « En début de thèse, cet isolement est associé à l’apprentissage d’une nouvelle gestion du temps et des rapports aux autres, d’autant plus difficile que les institutions ne fournissent aucun rituel d’entrée en thèse » (ibid., p. 7). Étudiant·e·s jusque-là encadré dans ses travaux par une structure universitaire imposant des consignes précises et des dates de rendu, le début du doctorat peut s’avérer, pour certain·e·s, assez angoissante compte tenu de la liberté offerte et du « flou » relatif à l’objet thèse (Boutier, 2013, 41) : par quoi commencer ?

5Ce qui nous amène à notre seconde observation, celle d’une carence informationnelle relative à l’organisation concrète du travail universitaire et aux attendus institutionnels, et plus largement à toutes ces « évidences » qui ne sont pas nécessairement formalisées et qui feraient pourtant gagner une énergie et un temps précieux aux jeunes doctorant·e·s. En effet, l’apparente banalité que peuvent revêtir certaines informations pour un·e chercheur·e averti·e conduit à ce que ces aspects ne soient pas explicités auprès des nouvelles générations au moment crucial de leur entrée en doctorat. Les doutes et les errements font partie prenante du processus de maturation de la réflexion scientifique, mais les conseils et les informations relatifs à la socialisation professionnelle et à la compréhension du fonctionnement du monde de la recherche ne devraient pas faire l’objet de « cachotteries », pour reprendre un vocabulaire mobilisé par Howard Becker (2013, 11). S’il existe déjà de nombreux manuels3 de grande qualité ainsi que diverses publications en ligne4 et podcasts5 visant à éclairer les différentes facettes du doctorat, il nous a semblé qu’il manquait aux jeunes doctorant·e·s un document qui leur serait accessible en amont de cette littérature et qui proposerait une approche plus globale, synthétique et concrète. Ainsi, le guide que nous proposons regroupe un ensemble de démarches et d’outils simples à mettre en œuvre afin de faciliter le démarrage d’un doctorat en SHS.

Un guide pratique de démarrage en doctorat

6Le guide pratique est structuré autour de quatre thèmes : découverte du laboratoire de recherche, familiarisation avec le milieu universitaire, amorce du travail de thèse, organisation du travail universitaire.

Découverte du laboratoire de recherche

7Nous recommandons aux doctorant·e·s de se familiariser avec l’institution qu’ils vont intégrer pour plusieurs années. Cela passe notamment par l’identification des axes de recherche du laboratoire mais aussi des statuts et des spécialités des différents membres, afin de comprendre les dynamiques internes de travail, tout en identifiant les interlocuteurs·trices régulier·e·s avec lesquel·le·s ils seront amenés à échanger. Il nous semble également important de situer le laboratoire dans le paysage institutionnel (école doctorale, université, discipline). Nous invitons les doctorant·e·s à se renseigner sur la documentation existante – les laboratoires proposent parfois des livrets d’accueil –, sur les actualités scientifiques à venir, mais aussi sur les aides à la recherche dont ils peuvent bénéficier. Si les laboratoires disposent généralement d’un site internet, nous conseillons, quand cela est possible, en fonction des contraintes professionnelles et personnelles, de passer du temps dans les locaux pour rencontrer physiquement leurs collègues et prendre connaissance des moyens matériels mis à disposition.

Familiarisation avec le milieu universitaire

8Plus globalement, surtout si on part du principe que l’expérience doctorale n’est que le début d’une carrière professionnelle, il peut être intéressant de se familiariser avec le monde universitaire au-delà de son laboratoire et d’explorer plus avant sa nouvelle sphère professionnelle. Prendre connaissance des revues scientifiques de son champ disciplinaire (pour en lire, mais également pour en connaître les normes éditoriales et repérer celles à qui soumettre une publication), assister à une conférence sont deux activités importantes à mener en début de thèse. Mais cette familiarisation passe également par une entrée dans les réseaux de collègues : via les listes de diffusion, l’inscription ou la participation aux réseaux sociaux de chercheur·e·s, intégrer ou créer un groupe de recherche… Par ailleurs, même si ces conseils sont orientés « recherche », ils créeront également des occasions d’échanger sur vos enseignements potentiels. Enfin, dès le début, nous conseillons de démystifier la thèse en tant que produit fini : assister à une soutenance, feuilleter une ou plusieurs thèses, afin de voir concrètement ce que sont ces exercices et les normes qui les encadrent.

Amorce du travail de thèse

9L’une des difficultés dans la réalisation de la thèse est la nécessité de découper ce travail en une multitude de tâches et de les organiser dans une progression (plus ou moins) cohérente. Nous avons donc voulu donner quelques idées de premières tâches à accomplir lorsque l’on commence : l’ouverture d’un journal de bord (outil qui servira autant dans la réflexion qu’au moment de la rédaction), installation d’outils de veille, construction d’une première liste de lecture ou rédaction de son projet de thèse – autant d’outils qui peuvent servir pour les premiers rendez-vous avec son directeur·trice. La formation est également, comme pour toute entrée dans un métier, un aspect important des premiers mois : formations proposées par l’université sur différents aspects du métier (recherche bibliographique, pédagogie universitaire…), formations extérieures, et séminaires ou cours dans votre discipline ou des disciplines connexes.

Organisation du travail universitaire

10Si les jeunes doctorant·e·s ont déjà accumulé, au cours de leurs premières années à la faculté, des compétences pratiques et méthodologiques concernant le travail universitaire, il nous a semblé opportun de rappeler quelques éléments essentiels relatifs à l’organisation matérielle, comme l’aménagement d’un espace de travail fonctionnel et ergonomique ou l’adoption d’un système de sauvegarde efficace. Nous avons également soulevé les enjeux liés à la planification du travail, l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée n’étant pas toujours bien vécue par les doctorant·e·s (Chao et al., 2015).

Conclusion

11La vocation de ce guide est d’être communiqué aux doctorant·e·s dès leur inscription en doctorat, tout en étant complété, modifié, annoté, critiqué6. Il reste aux laboratoires de recherche de s’en saisir et de l’adapter, comme c’est le cas au sein du Centre d’analyse et de Recherche Interdisciplinaires sur les Médias où il a été enrichi avec des informations relatives aux sciences de l’information et de la communication et à l’université d’accueil. Enfin, il nous est apparu que ce guide pourrait aussi contribuer à aider les doctorant·e·s à mieux identifier l’étendue et la diversité de leurs compétences, une reconnaissance nécessaire pour s’insérer par la suite dans le monde professionnel.

Bibliographie

Beaud Michel, L’art de la thèse, La Découverte, coll. « Guides Repères », 2003 [1985].

Becker Howard S., Les ficelles du métier. Comment conduire sa recherche en sciences sociales (trad. Sociological work : method and substance), La Découverte, 2002.

Becker Howard S., Écrire les sciences sociales. Commencer et terminer son article, sa thèse ou son livre (trad. Writing for social scientists : how to start and finish your thesis, book or article), Economica, coll. « Méthodes des sciences sociales », 2004.

Becker Howard S., « Écrire une thèse, enjeu collectif et malaise personnel », in Hunsmann Moritz, Kapp Sébastien, Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Édition de l’EHESS, coll. « Cas de figure », 2013, p. 9-19.

Belleville Geneviève, Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels, Presses de l’Université Laval, 2014.

Berthiaume Denis, et al., « L’expérience doctorale : état des lieux et propositions de structuration », Centre HES-SO de Développement Professionnel, 2020, p. 40-41.

Biaudet Paule, Wittorski Richard, « Professionnalisation des doctorants : influence des formations “complémentaires” sur le développement des compétences et le positionnement professionnel », Les dossiers des sciences de l’éducation, no. 34, 2015, p. 91-119.

Boutier Jean, « Qu’est-ce qu’une thèse en sciences humaines et sociales », in Moritz Hunsmann, Sébastien Kapp (dir.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Édition de l’EHESS, coll. « Cas de figure », 2013, p. 37-46.

Chachkine Elsa, et al., « Analyse comparative de l’engagement de doctorants en éducation en période de confinement », Le sujet dans la cité, vol. 11, no. 1, 2021, p. 83-100.

Chao Marina, et al., « Les expériences de la solitude en doctorat. Fondements et inégalités », Socio-logos, no. 10, 2015.

Eco Umberto, Comment écrire sa thèse (trad. Come si fa una tesi di laurea : le materie umanistiche), Flammarion, coll. « Champs essai », 2018.

Filippo Laurent, François Hélène, Anthony Michel (dir.), La position du doctorant. Trajectoires, engagements et réflexivité, Presses Universitaires de Nancy, 2012.

Gérard Laetitia, Le doctorat : un rite de passage. Analyse du parcours doctoral et post-doctoral, Téraèdre, coll. « L’anthropologie au coin de la rue », 2014.

Hugues Everett, Men and their work, Glencoe, The Free Press, 1958.

Hunsmann Moritz, Kapp Sébastien (dir.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Édition de l’EHESS, coll. « Cas de figure », 2013.

Kallenbach Sacha et al., « Le doctorat en France : du choix à la poursuite de carrière », rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche , juillet 2020.

Lumieau Léorno, « Quand les doctorants jettent l’éponge », lemonde.fr, 25 juin 2021, url : https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/06/25/distanciation-difficultes-financieres-perte-de-sens-quand-des-doctorants-jettent-l-eponge_6085592_4401467.html.

Millet Mathias, Les étudiants et le travail universitaire : étude sociologique, Presses Universitaires Lyon, 2003.

Quivy Raymond, Van Campenhoudt Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, coll. « Sociale », 2017.

Sigalo Santos Luc, Lebrou Vincent, « La thèse : les causes collectives d’une “épreuve personnelle” », blog Doctrix un autre regard sur le doctorat, 2019.

Notes

1  « Le Guide du voyageur galaxique », version 2021, url : https://academia.hypotheses.org/files/2021/01/LE-GUIDE-DU-VOYAGEUR-GALAXIQUE-janvier2021.pdf

2  Le guide est accessible sur la plateforme Cours En Ligne via ce lien : https://cel.archives-ouvertes.fr/hal-03664607

3  Voir les références indiquées dans la bibliographie ainsi que l’excellente collection « Métier de chercheur.e » co-éditée par la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne et les Presses Universitaires de Rennes.

4  Comme le carnet « Les Aspects concrets de la thèse » ou les fiches « Le doctorat à la loupe » de la Confédération des Jeunes Chercheurs.

5  Tels que : Thésard·es, Part en thèse, Bien dans ma thèse, PhDLife.

6  Le guide est diffusé sous licence Creative commons CC BY NC (utilisation avec attribution et non commerciale).

Pour citer ce document

Maëlle Bazin et Morgane Maridet, «Un guide pratique de démarrage en doctorat : expliciter pour accompagner une entrée dans le métier», Les Cahiers de la SFSIC [En ligne], Collection, 18-Varia, Formation,mis à jour le : 13/02/2023,URL : http://cahiers.sfsic.org/sfsic/index.php?id=960.

Quelques mots à propos de : Maëlle Bazin

Doctorante au Centre d’Analyse et de Recherche Interdisciplinaires Sur les Médias (Paris Panthéon-Assas). Courriel : bazinmael@gmail.com

Quelques mots à propos de : Morgane Maridet

Chargée de formation et d’appui aux enseignants à l’Université Sorbonne Nouvelle. Courriel : morgane.maridet@gmail.com